Hédi Ben Abbes, ancien Secrétaire d’État aux Affaires étrangères et ancien premier conseiller diplomatique du Président de la République est Maître de Conférences à l’université de Besançon, Dr. en littérature anglaise et diplômé (DEA) en droit et sciences politiques de l’Université de Bourgogne (Dijon).

Mohamed Toumi est titulaire d’un Master of Business Administration (MBA), maîtrisard en gestion comptable, gestionnaire et membre du conseil de plusieurs entreprises. Actif dans des associations sportives, culturelles et entrepreneuriales.

Ils ont écrit ensemble « TUNISIE 2040 UN RÊVE ACCESSIBLE » qui offre aux Tunisiens une excellente base de travail pour construire la Tunisie de demain. A découvrir, voici un extrait.

 

Il ne peut y avoir de grand dessein pour une nation sans dépassement de soi et sans rêve démesuré. Une vision est une aventure collective, un pari sur l’avenir et une foi inébranlable dans ce que l’humain recèle de meilleur en lui. Elle n’a de sens que si elle est mobilisatrice, bien avant d’être matérialisée dans des objectifs quantifiables.

Toute projection dans l’avenir, aussi calculée soit-elle, est un saut dans l’inconnu. Cela est à la fois inquiétant et jouissif. L’inquiétude fait se replier sur les acquis de la tradition et sur les certitudes du déjà-vu. La jouissance naît de la curiosité relative à la découverte, à la réinvention et au travail sur soi. Le présent ouvrage s’est employé à créer les conditions d’une synergie entre le quantifiable et l’immatériel, entre la réalité palpable et désenchantée et le rêve porteur d’espoir en un avenir meilleur. Adopter une vision politique à moyen et long termes requiert de disposer d’un important potentiel qui encline au rêve. Il n’est pas question d’exhorter à la douce rêverie qui rend possible l’évasion imaginaire, mais il s’agit de songer à un rêve de grandeur susceptible de se laisser couler dans le moule d’une stratégie planifiée de manière quantitative et à la lumière d’objectifs réalisables.

Nous nous inscrivons en porte-à-faux de la position consistant à séparer le rationnel de l’affectif, l’objectif du subjectif, le diurne du nocturne, la réflexion de la méditation, l’inné de l’acquis, la planification de l’instinctif. L’esprit et le cœur doivent combiner leurs atouts pour marcher en toute confiance vers l’avenir, le vivre dans le rêve et le concrétiser ensuite dans les faits. Telle nous est apparue la meilleure façon de conjurer le mauvais sort, de s’extirper de la dynamique pernicieuse et funeste dans laquelle on s’est longtemps enferrés. La passion et l’amour des choses bien pensées sont un prélude nécessaire à l’action portée par les valeurs humanistes. Un jour ou l’autre, la Tunisie se résoudra à l’idée qu’il est nécessaire de se conformer à une vision globalisante et mobilisatrice à même de permettre à tous de regarder dans la même direction, celle d’un horizon dégagé. Autant alors, commencer dès à présent, quoiqu’avec un certain retard, à jeter les bases d’un projet collectif dans lequel tout un chacun pourrait s’accomplir. Pour ce faire, nous avons imaginé de baliser le parcours qui nous mènera, collectivement, jusqu’en 2040, date à laquelle on prévoit la naissance d’une Tunisie nouvelle à condition de respecter le cahier des charges fourni dans les pages précédentes et de ne pas brûler les étapes de la progression signalées ci-haut.

Nous ne visons aucunement à la perfection qui, dans le domaine de la prospective et de la projection, n’annonce rien de bon. En effet, si l’utopie entend imaginer les conditions d’une perfection systémique, leur application sur le terrain risque souvent de transformer le rêve initial en cauchemar. La quête de la perfection constitue même la meilleure voie menant vers le totalitarisme car dans le domaine des sciences sociales et des sciences de l’humain, seule la relativité est porteuse d’espoir. L’homme-machine est une perfection contre-nature et donc contre-productive, à laquelle nous n’appelons aucunement. En revanche, l’homme-citoyen, avec ses limites et imperfections, est notre cible de choix, dont l’accomplissement ne doit pas demeurer un vœu pieux.

Parce que nous croyons dans le potentiel de l’homme-citoyen, dans notre rêve de grandeur, la culture occupe une place de choix. Elle est soluble dans toutes les dimensions de la vie humaine. Il n’y a de prospérité économique et de paix sociale que dans l’appropriation complète et revendiquée du fait culturel susceptible de créer les conditions du bien-être collectif. C’est à ce prix-là que la Tunisie peut s’engager résolument sur la voie de la postmodernité. C’est une voie qui s’écarte des sentiers battus et jure avec les vieilles recettes éculées d’un monde en rapide et imprévisible mutation. La mobilité, les territoires, les institutions, l’environnement, la recherche, entre autres, doivent être repensés à l’aune de ce nouveau paradigme. Les régions intérieures, longtemps considérées comme des souffre-douleurs, sont à ce nouveau projet collectif qui se dessine à l’horizon 2040, ce que les régions côtières furent au projet bourguibien de l’indépendance, c’est-à-dire les catalyseurs de la renaissance. Le redécoupage territorial vise, dès lors, à rééquilibrer le paysage culturel et économique et à repositionner les conseils régionaux au centre de la nécessaire politique de décentralisation.

Selon le vieil adage, qui se renouvelle attire. Or, quelle plus belle récompense pour les efforts de renouvellement consentis que de voir la Tunisie devenir une terre de convergence pour les ONG et les institutions internationales férues de pacifisme, de médiation et de solidarité ! Autant l’innovation est une attirance, autant l’expression d’une culture assumée pleinement est un repoussoir pour toutes sortes de rapports conflictuels, qu’ils soient locaux, régionaux, ou internationaux. Se poser en médiateur des conflits suppose qu’on possède des compétences particulières que l’Histoire plusieurs fois millénaire du pays met à disposition de nos concitoyens. L’évolution géopolitique du monde actuel démontre, si besoin est, à quel point l’usage de la force dans le traitement des conflits n’est plus à l’ordre du jour et de quelle manière les grandes guerres ont été supplantées par les guerres asymétriques. Ce revirement stratégique rend le concours de la médiation culturelle et politique particulièrement vital. Nous considérons que la Tunisie possède suffisamment d’atouts pour s’imposer comme acteur central dans cette course à la désescalade par voie de médiation culturelle. Il ne suffit pas de le dire, encore faut-il s’atteler à la tâche de le concrétiser sur le terrain d’une réalité qui fait souvent de la résistance. D’où notre vision qui, par touches successives, porte le changement dans le cœur du système, jusqu’à atteindre les objectifs assignés à l’horizon de 2040.

Nous aurons beau changer de paradigme, le résultat sera en deçà des attentes tant que le Tunisien ne se sera pas réformé lui-même. La mentalité de soumission et d’assistanat à laquelle se laisse aller actuellement le citoyen devra être supplantée par celle où les devoirs et les droits se contrebalancent et s’assument réciproquement. En définitive, tout devrait se tenir : les institutions créant les conditions du renouveau citoyen ainsi que la remise en question et le travail sur soi, posant les jalons du renouveau systémique. À nous, dès lors, de faire en sorte que le mécanisme ainsi présenté fonctionne, dont les rouages seront continuellement entretenus et révisés par les générations futures. Puisse cette prophétie s’accomplir dans les délais impartis et le Tunisien embrasser cette profession de foi.  

 

                     

Apollonia Editions, 173 pages, Prix public, 20 d.

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