Par Abdelaziz Belkhodja
Le 18 juin 2019, à quelques mois des élections générales, la loi électorale tunisienne a subi dans l’urgence une réforme qui écarte de fait les candidats les mieux placés pour gagner les élections. Le motif invoqué est que ces personnes ont utilisé les avantages du statut associatif pour gagner en notoriété avant de s’affirmer candidats aux élections.
En soi, le motif invoqué par le pouvoir est légal et même moral, sauf que ces pratiques sont courantes depuis la fondation de la République et qu’elles se sont même généralisées après la révolution quand le mouvement islamiste Ennahdha a très largement utilisé le réseau associatif pour remporter les élections et tenter d’asseoir son idéologie.
Le gouvernement actuel n’est pas en reste puisque toutes les pratiques rendue illégales par cette loi – comme l’instrumentalisation des médias et des actions caritatives à des buts électoralistes – sont aujourd’hui largement utilisées pour flatter l’image du chef du gouvernement. Ce dernier n’hésite pas à aller encore plus loin dans cette logique en imposant à des entreprises publiques en difficulté des mesures populistes comme la baisse des tarifs de l’électricité ou des transports.
Ainsi, le déficit démocratique que le pouvoir reproche à ses adversaires politiques est très largement dépassé par ses propres pratiques, non seulement en matière d’image et d’actions populistes, mais aussi par l’utilisation de l’ensemble de l’appareil étatique dans des buts clientélistes et électoraux, sans oublier les intimidations, les menaces et les pressions de toutes sortes.
Le déficit démocratique est donc généralisé dans le sens où toutes ces pratiques auraient du être clairement interdites depuis des années. Or, comme elles profitaient exclusivement au pouvoir, celui-ci a rechigné à les interdire jusqu’à ce que ses adversaires en usent et mettent en péril sa pérennité.
Une loi électorale contraire aux principes généraux du Droit
Le danger est que la nouvelle loi électorale est une véritable offense faite au Droit. Non seulement elle est rétroactive, ce qui constitue l’une des plus graves atteintes aux principes généraux du Droit, mais plus encore, c’est une loi « personnelle » c’est à dire ciblée pour interdire les élections à quelques personnalités; ce qui constitue une autre grave atteinte au principe de l’impersonnalité de la loi.
Toutes ces graves atteintes aux principes fondamentaux du Droit rendent cette loi largement inconstitutionnelle et ce, au regard de toute la jurisprudence de la planète.
Le contrôle de la constitutionnalité des lois soumis au pouvoir
Cependant, il y a plus inquiétant encore: malgré toutes ces atteintes, l’Instance Provisoire de Contrôle de Constitutionnalité des Projets de Loi a avalisé la nouvelle loi électorale à l’unanimité de ses 6 membres.
Cette aliénation des principes fondamentaux de la Constitution par l’organe précisément chargé de la défendre est un dangereux précédent pour la démocratie tunisienne, il indique clairement que la voie choisie par les juges constitutionnels est celle de l’allégeance au pouvoir exécutif.
Cette allégeance est d’autant plus inquiétante qu’elle touche l’ensemble des pouvoirs juridictionnels et politiques puisque cet organe provisoire comprend:
– Le premier président de la cour de cassation
– le premier président du tribunal administratif :
– le premier président de la cour des comptes,
– un membre désigné par le président de l’assemblée des représentants du peuple
– un membre désigné par le Président de la République
– un membre désigné par le Chef du gouvernement.
Tous ces pouvoirs ont donc, directement ou indirectement concouru à la mise en place d’une instance qui a avalisé à l’unanimité une loi inconstitutionnelle ayant trait aux élections, c’est à dire une loi remettant en cause de façon fondamentale le principe démocratique.
Des juges constitutionnels très politisés
Or si cette instance provisoire est censée combler l’absence de la Cour Constitutionnelle, l’élection des membres de cette dernière instance est sujette à des manœuvres politico-politiciennes qui ont abouti à la mise à l’écart de plusieurs constitutionnalistes réputés pour leur compétence et leur neutralité, ce qui augure de la très probable continuité de la soumission des juges constitutionnels au pouvoir.
Cette logique, largement dévoilée par cette nouvelle loi électorale fondamentalement inconstitutionnelle avalisée par l’organe censé défendre la Constitution, remet très sérieusement en cause le processus démocratique tunisien puisque la Constitution est, comme du temps de la dictature, redevenue un simple instrument au service du pouvoir.
En clair, la Constitution de 2014 a été évidée de sa logique par les organes censés la défendre.
Cette mascarade démocratique généralisée constitue une légalisation du clientélisme et de la corruption du système que la révolution était censée éradiquer.
En somme, le système tunisien a fini par fabriquer une démocratie au service de sa corruption endémique, une démocratie totalitaire, deux termes antinomiques mais parfaitement compatibles dans une Tunisie qui a perdu tous ses repères.
Le référendum, dernier rempart contre le totalitarisme
Le dernier rempart contre ce totalitarisme larvé – dont la nouvelle loi électorale constitue le cheval de Troie contre le processus démocratique – reste le président de la République. Et le seul outil véritablement démocratique à sa disposition est le référendum. Lui seul peut remettre le processus démocratique sur une voie authentique en laissant au peuple le choix d’accepter ou de rejeter cette nouvelle loi électorale scélérate qui va empêcher plus de 40% des Tunisiens de voter selon leur choix.
Sans le référendum et avec la promulgation de la nouvelle loi électorale, la Tunisie restera l’otage d’une coalition dont l’unique objectif est de rester au pouvoir pour continuer à se servir et servir une caste nocive pour le pays.
Abdelaziz Belkhodja