L’État tunisien vient de bloquer, de façon totalement irrationnelle, le recours, par les municipalités tunisiennes, au Budget participatif. Une procédure novatrice utilisée par 19 municipalités tunisiennes et qui n’a que des avantages.

DÉFINITION : Le Budget participatif permet aux administrés d’une municipalité de proposer des projets pour leur ville sur lesquels ils pourront voter. Les projets choisis démocratiquement seront ensuite réalisés par les services de la municipalité et supervisés par les citoyens lors de leur exécution et ce, dès les étapes administratives, pour pouvoir lutter contre la corruption.

Née en 1989 à Porto-Alegre au Brésil, cette innovation démocratique s’est diffusée à travers le monde.

En Tunisie, 19 municipalités et pas des moindres, du nord au sud, appliquent avec succès, depuis fin 2013, le Budget participatif dont les avantages sont éminents :

  • Les associations locales ont été valorisées à travers ce mécanisme.
  • La relation de confiance entre les citoyens et ces municipalités a commencé à se construire.
  • La collecte fiscale locale a connu une vraie progression grâce au Budget participatif, ce qui permet aux municipalités d’avoir beaucoup plus de moyens financiers pour répondre aux besoins des citoyens et pour améliorer les services municipaux mais aussi pour pouvoir agir sur la culture, l’économie et le social à l’échelle locale.
  • Les municipalités commencent à exécuter les projets décidés par les citoyens selon leurs besoins et leurs priorités.
  • Certaines municipalités tunisiennes ont été récompensées ou au moins citées à l’échelle internationale pour leur application du Budget participatif.
  • Les citoyens commencent à comprendre le fonctionnement des municipalités à travers l’application du Budget participatif, et cela les encouragera probablement à aller d’abord s’inscrire et ensuite voter lors des prochaines élections municipales.
  • La société civile est convaincue que le Budget participatif permet aussi de lutter contre la corruption de manière efficace.
  • La participation des femmes, des jeunes et des porteurs de handicaps s’est nettement améliorée à l’échelle locale grâce au Budget participatif.
  • Le Budget participatif attire de plus en plus de bâilleurs de fonds de la coopération bilatérale et internationale qui veulent soutenir le développement des communes et des régions en Tunisie.
  • Le Budget participatif qui s’applique sur les projets d’infrastructure de base, ouvre aussi la voie vers d’autres mécanismes pour les projets culturels, économiques et sociaux au niveau de la municipalité.
  • Le Budget participatif a réellement réussi dans les municipalités tunisiennes qui l’ont appliqué, et le principal Centre de formation de l’État pour les municipalités (CFAD) l’a même adopté en le mentionnant dans ses guides et en faisant en plus un guide spécifique pour son application. La Fédération nationale des villes tunisiennes (FNVT) l’a aussi adopté et s’est exprimée plusieurs fois en sa faveur.

Mais…

La Caisse des prêts et de soutien aux collectivités locales (un organe de l’État qui joue le rôle de banque des municipalités) a dit non au Budget participatif et l’a même interdit aux municipalités tunisiennes, en les menaçant, s’ils continuent de l’appliquer, d’arrêter son soutien financier. La Caisse préfère que les municipalités appliquent un autre mécanisme, le PAI (Plan annuel d’investissements). La Caisse veut imposer aux municipalités son propre mécanisme participatif et porte atteinte directement au principe constitutionnel de la libre administration et de l’autonomie décisionnelle des collectivités locales.

Qu’est-ce que le PAI (Plan annuel d’investissements)

Le PAI, appliqué pour les budgets municipaux de 2016, a fait l’objet d’ateliers et de réunions et d’analyses techniques comparatives avec le Budget participatif, toutes effectuées par des associations, des experts et par les municipalités qui ont adopté le Budget participatif. Leur conclusion a toujours été la suivante : Il faut remplacer le PAI par le Budget participatif, car le Budget participatif permet réellement de contribuer à la construction de la confiance entre citoyens et municipalités et permet de lutter de manière efficace contre la corruption, alors que le PAI est techniquement défaillant. Dans tous les cas il faut que la Caisse laisse les municipalités libres d’adopter le Budget participatif d’autant plus que ces dernières pourront toujours satisfaire les exigences de la Caisse en matière de conditions minimales pour obtenir les soutiens financiers.

Un ministère qui laisse faire…

Ces demandes et ces conclusions ont plusieurs fois été transmises non seulement à la Caisse des prêts, mais également à la Direction générale des collectivités locales, et également à M. Riadh Mouakhar, ministre des Collectivités locales et de l’Environnement. Ces demandes sont restées sans réponse. Pire encore, la Caisse vient d’interdire le Budget participatif en imposant son PAI, un instrument techniquement défaillant.

Pourquoi la Caisse veut-elle imposer un instrument – le PAI – qui a pourtant prouvé son inefficacité? Est-ce le principe constitutionnel de la libre administration, qui dérange la Caisse des prêts ? Est-ce la confiance construite par le Budget participatif qui dérange la Caisse des prêts ? Est-ce la lutte contre la corruption qui dérange la Caisse des prêts ? Tous les arguments techniques cités par la caisse des prêts dans sa lettre aux municipalités sont sans aucun fondement et sont opposables par des réponses évidentes que le ministère des Collectivités locales connait déjà…

En définitive, les municipalités tunisiennes vont-elles se voir interdire, par des moyens détournés, illégaux et illégitimes la libre administration ? Ou vont-elles aller dans le sens de la construction de la confiance avec les citoyens ? La confiance est un élément essentiel pour envisager un développement local et régional réel, sain et durable et une décentralisation efficace et fructueuse pour l’ensemble du pays. Les municipalités et leurs administrés attendent la réponse du ministre concerné.

Source : Kouraich Jaouahdou, Expert en communication & développement. Fondateur de l’ONG L’Action Associative et de l’Agence Local & Global


Annexe :

Le budget participatif est à la mode aux quatre coins du monde (source, Le Monde)

Depuis les premiers exercices de budget participatif en 1989, à Porto Alegre, ville méridionale du Brésil, la pratique participative s’est propagée aux quatre coins du monde : expansion sur le continent latino-américain (Équateur, Pérou, Argentine), des premiers pas en Europe (Espagne, Portugal, Italie, Suède, Royaume-Uni, France), en Afrique (Cameroun, Tunisie) et en Asie (Chine). Aucune liste n’est exhaustive.

À la fin 2013, la Maison-Blanche a relayé le deuxième plan du président Barack Obama pour rendre le gouvernement américain plus transparent. Parmi les mesures dévoilées se trouvent la promotion du budget participatif.
Les pays de la région MENA sont les seuls à rester timides sur la question.

Chaque municipalité a ses règles du jeu. Ainsi, un budget est plus ou moins participatif selon la marge de manœuvre accordée aux citoyens : le budget qui leur alloué. Cet instrument se fonde sur une participation volontaire des citoyens à la vie locale. Ces derniers décident, directement, avec les élus de la manière dont sera dépensé le budget de leur ville.

Le budget participatif a, en général, un cycle à deux étapes. Lors de la première étape qui dure en général sept à huit mois, les citoyens émettent des propositions de projets sur des quartiers, des thèmes. Ensuite, les pouvoirs publics évaluent le coût des desseins citoyens, desseins qui sont ensuite votés par le Conseil municipal. La seconde étape consiste au suivi de la gestion de l’enveloppe jusqu’à la mise en place du projet.

Tiago Peixoto, qui travaille sur l’engagement citoyen à la Banque mondiale, tente de retracer toutes les expériences de budget participatif qui fleurissent depuis les années 2000. Au total, 1 500 municipalités, gouvernements, ou institutions auraient testé ce processus.

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