Depuis quelques semaines, les frontières sont devenues aussi impénétrables que les voies du Seigneur. Trafiquants, terroristes et adeptes des paradis artificiels en sont les premières victimes. Les premiers résistent comme ils peuvent, en tentant d’allumer, ça et là, des foyers de tension pour détourner, le temps d’un business, les forces de l’ordre de la surveillance des frontières. Pour les seconds, il semblerait que les flics aient réussi, mieux que les pays de l’Otan et leurs stratèges, à faire la différence entre extrémistes et modérés : pendant que les uns sont arrêtés aux frontières, les autres débarquent par avion, avec faux diplômes et certificats destinés à justifier leur longue absence, fument une cigarette en compagnie d’un juge estampillé, et repartent chez eux où ils sont reçus en héros. Les boute-en-train tunisiens vont jusqu’à leur proposer des réparations pour leur terrorisme non récompensé par les septante vierges du paradis pétro-jihadiste.
La troisième communauté à subir la fermeture aux frontières est celle des chercheurs de paradis un peu moins artificiels, les fumeurs de « shit », la fameuse zatla ou résine de cannabis. Ces derniers, très nombreux, jouissaient depuis plusieurs années d’un marché qui s’était sérieusement démocratisé depuis la sainte Révolution et l’arrivée de centaines de milliers de jeunes qui ont déchanté et rejoint les rangs des zatala pré révolutionnaires.
N’ayant rien à voir avec des junkies, la plupart des zatalas fument de façon régulière, possèdent leur réseau, travaillent et vivent en harmonie avec leur société. La zatla n’a rien d’une drogue dure, au contraire, ses qualités thérapeutique sont connues et même indiquées par nombre de médecins, même si elle est de moindre qualité que l’herbe fumée en Tunisie depuis des millénaire, le takrouri, le fameux cannabis local, dont la production n’a malheureusement pas résisté à la pénalisation et l’acharnement policier post indépendance.
Pourtant, depuis, bien des choses ont changé. Plusieurs pays ont légalisé les drogues douces, pour des questions sociales ou de lutte contre la délinquance mais aussi, et peut être surtout, parce que les conséquences économiques sont tout à fait intéressantes. Dans les États où le cannabis a été légalisé, les taxes ont permis d’augmenter substantiellement les budgets et le tourisme en a même ressenti les effets bénéfiques. Aux États-Unis, le Colorado avait été le premier à légaliser le marché du cannabis à usage récréatif en 2012 suivi par l’Oregon, l’État de Washington, l’Alaska ainsi que la capitale fédérale Washington. La Floride a par ailleurs légalisé un programme de marijuana médicale. Les électeurs de l’État le plus peuplé des États-Unis, la Californie, ont légalisé, par référendum, en novembre, la marijuana à usage récréatif. D’autres états ont suivi ces précurseurs et s’inscrivent dans cette dynamique de légalisation. Aujourd’hui, le marché légal du cannabis atteint, en Amérique du Nord, 6,9 milliards de dollars et le Arcview Group prévoit plus de 21 milliards de dollars de revenus en 2021, soit une augmentation de 26% par an.
En Tunisie, en 2014, poussé par son équipe de campagne qui comprenait plusieurs jeunes ouverts d’esprit et aptes à saisir les nécessaires changements dans l’inhumaine et répressive législation tunisienne sur les stupéfiants, le candidat Béji Caïd Essebsi avait promis aux jeunes une refonte de la loi scélérate L 52, imposée par Ben Ali et qui fait d’un simple fumeur de cannabis un délinquant passible de plus d’un an de prison. Résultat, le tiers de la population carcérale actuelle est concerné ! Or, selon les dernières informations issues des couloirs de la vénérable Assemblée des représentants du peuple, certains députés veulent revoir le projet de loi dans le sens d’une plus grande sévérité, le vidant ainsi complètement de son sens. Ce n’est malheureusement pas la première fois que le législateur est en retard d’une guerre. Cette fois, il l’est de deux car il aurait fallu aller au delà de la dépénalisation et légaliser le secteur pour favoriser la production du cannabis local, avec tous les avantages que cela implique : qualité du produit dans un objectif de santé public, développement du tourisme, revenus des taxes pour le budget de l’État, arrêt du trafic et redéploiement de la police sur les trafics beaucoup plus dangereux (drogues dures, armes et « traite des pétro-jihadistes »).
Le législateur tunisien, après avoir concocté, en 2014, une Constitution parfaitement inapplicable, qui a enlevé à l’État toute capacité d’action, est en train de rédiger une loi qui va exaspérer la jeunesse. Une jeunesse qui, aujourd’hui, consomme, à défaut, des produits très dangereux pour la santé physique et mentale. On se rapproche ainsi dangereusement d’une consommation du captagon que certains voudraient distribuer gratuitement. Le législateur, au lieu de se positionner dans la prévention d’une pratique qui se légalise dans le monde entier, continue d’aliéner toute une partie de la jeunesse qui n’aura en définitive qu’une alternative à la prison et aux mauvaises drogues, le pétro-jihadisme.