En dénonçant « les dissensions politiques, à l’origine des dérives et déséquilibres que connait le pays, depuis 7 ans’’, le ministre de la Défense, M. Abdelkrim Zbidi a parlé au nom d’une armée silencieuse depuis 2011 mais qui voit, entend et note tout. Or la démocratie tunisienne est sur le point de toucher le fond…
Avec la chute de la dictature, les Tunisiens avaient une vision : ils pensaient éliminer les corrompus, redonner à la Justice ses lettres de noblesse, relancer une économie brimée par les profiteurs et redonner à l’Etat sa neutralité au service de la patrie. Mais rien de tout cela n’a eu lieu. Même la liberté d’expression, flamboyante aux lendemains de la révolution, s’est tarie et les médias, pour la plupart, sont redevenus ce qu’ils étaient: les courroies de transmission des intérêts des groupes constitués, ce qui, ajouté au retour des pratiques de l’ancien régime, fausse tout le système démocratique.
La frustration est grande, la plupart des départements de l’État se sont effondrés, la colère gronde, la misère et les maladies reviennent à grande vitesse et la violence est à fleur de peau. La situation ressemble à celle du début janvier 2011 en pire. Car si cette année là il y avait une vision, aujourd’hui, il n’y a plus rien et la dictature elle-même – pourtant à l’origine du mal – apparaît à beaucoup comme une solution pour éliminer la gabegie et l’impunité et sortir la Tunisie de son néant politique.
Alors que tous les partis sont en chute libre, la Tunisie va bientôt entrer dans une année électorale. À part les 200 partis dont personne n’a jamais entendu parler, ceux qui tiennent le haut du pavé sont dans une situation catastrophique. L’hypocrisie viscérale et les basses manœuvres des islamistes qui ont perdu les deux tiers de leur électorat sont dénoncées; quant à Nidaa, il a perdu les trois quart de son électorat et les deux tiers de ses députés à cause d’un népotisme qui a saccagé le mouvement qui s’était mobilisé en 2012 contre Ennahdha et son projet d’islamiser la société.
La plupart des autres partis, à part El Tayar de Mohamed Abbou, le seul à développer une certaine dynamique, stagnent.
Cependant, à la marge de ce paysage politique s’est affirmé, aux élections municipales du mois de mai dernier, le mouvement des Indépendants. Sauf que ceux-ci, comme leur nom l’indique, ne forment pas une force agrégée et les maires souhaitent avant tout s’occuper de leurs municipalités qui en ont bien besoin, et rechignent à s’engager dans un scrutin national.
Reste la société civile, très agissante, mais dont les structures sont aussi très indépendantes sans toutefois sombrer dans les égos destructeurs. Consciente des nécessités, consciente de l’effroyable échec de l’intelligence tunisienne, elle se tâte, tente de se rassembler, se positionne en force de propositions… Elle attend la structure qui, en respectant le principe démocratique, va réussir à la mobiliser pour un objectif clairement défini.
Mais un autre corps, d’habitude silencieux, s’est invité hier pour la première fois dans la scène politique. Dans sa déclaration durant la cérémonie d’adieu aux militaires tombés à Kasserine, le ministre de la Défense a lancé un avertissement clair aux autorités: « Je rappelle à tous les politiques qui se vantent de représenter le peuple, que ce peuple leur demandera, un jour des comptes ». Il est clair que les politiques, noyés aujourd’hui dans des considérations électoralistes complètement décalées par rapport aux nécessités du pays, ne représentent plus que leurs affidés. L’armée, dernier rempart de la patrie, pourrait, en cas d’effondrement de l’État, prendre le pouvoir le temps de remettre de l’ordre dans le pays, réformer les institutions, nettoyer une administration prolifique et nocive et remettre en État des entreprises publiques qui chaque jour, ruinent le pays un peu plus. C’est un rôle qu’elle n’apprécie pas, car ce n’est pas le sien, mais le devoir national pourrait l’appeler à le tenir en décrétant un arrêt provisoire de cette « transition démocratique » dont personne ne voit le bout du tunnel, surtout que la situation économique et financière du pays mène droit vers la perte de souveraineté et que le loup et le chaos sont désormais dans la bergerie.