Tunisie. Le flou total, hier, dans les médias, concernant l’arrestation d’hommes d’affaires influents connus pour leur implication supposée dans plusieurs dossiers de corruption, s’explique par le fait que ce n’est pas l’autorité judiciaire qui a procédé aux interpellations, mais l’autorité militaire.
C’est la DGSM, Direction générale de la sécurité militaire, qui procède, depuis hier, à l’arrestation de plusieurs personnes, plus ou moins connues, d’où l’absence d’informations et l’ignorance dans laquelle se sont retrouvés les médias, les avocats et même les juges.
Outre Chafik Jaraya, proche de Nidaa Tounes, mais aussi de Fajr Libya, le micro État islamiste dirigé par Abdelhakim Belhaj ; sont concernés Yassine Chennoufi, ancien douanier converti en homme d’affaires et candidat aux élections présidentielles de 2014 et un certain Néjib Ben Smaïl, autre homme d’affaires. Les arrestations se poursuivent. Plusieurs noms sont évoqués, pour la plupart des proches des réseaux de Chafik Jaraya et de la douane.
C’est donc la justice militaire qui va instruire les dossiers et juger les suspects. « Les tribunaux militaires sont compétents pour connaître des infractions à caractère militaire » déclare la Constitution. Ainsi, c’est sur la base d’un chef d’accusation en relation avec la sureté de l’État que se fera l’instruction.
L’avantage de passer par la justice militaire est important, spécialement depuis la promulgation de la Constitution de 2014, puisque l’État ne maîtrise plus le Parquet et les juges jouissent d’une liberté qui s’est avérée particulièrement néfaste pour le pays dans plusieurs domaines, particulièrement ceux du terrorisme et de la grande corruption.
L’arsenal juridique dont peut disposer le juge militaire est important. Outre le Code de Justice militaire, il a à sa disposition la fameuse « loi contre le terrorisme et la répression du blanchiment d’argent » connue sous le nom de « Loi antiterroriste » qui, par certaine de ses dispositions, donne compétence à la Justice militaire.
La réaction populaire face à ces arrestations a été très importante, les Tunisiens, pour la première fois depuis plus de trois décennies, sentent que quelque chose de positif est en train de se passer contre les forces obscures de la corruption. Beaucoup d’associations et de personnalités de la société civiles appellent à une manifestation de soutien à l’opération.
C’est la première fois depuis la Révolution que l’Exécutif s’attaque à la mafia. Pourtant, le rejet de la corruption était l’un des leitmotivs les plus présents durant le soulèvement. Après le 14 janvier, la corruption, qui était limitée à quelques profiteurs, s’est étendue jusqu’à se « démocratiser », provoquant un grand rejet de la Révolution. C’est pour cette raison que cette opération est aujourd’hui qualifiée par beaucoup comme un juste retour d’une logique anti corruption entamée en 2011 mais complètement détournée par une justice qui jouit de très peu de crédibilité et par des instances dont la diversité n’a fait que diluer le problème.
Beaucoup savent que l’État a ouvert là un dossier qui va toucher de gros intérêts, mais il était plus que temps de le faire. L’image de la Tunisie sera redorée par cette opération dont beaucoup espèrent la réussite.