Une thèse qui doit être soutenue à la faculté des Sciences de Sfax, Tunisie, remet en cause les fondements de la physique et de l’astronomie. Dans cette thèse, s’opposant aux travaux de Copernic, Galilée, Képler, Newton, Einstein, l’étudiante déclare, dans un français aussi approximatif que son approche scientifique que « les étoiles se situent à 7 000 000 km avec un diamètre de 292 km et leur nombre est limité. Ils possèdent trois rôles : pour être un décor du ciel ; pour lapider les diables et des signes pour guider les créatures dans les ténèbres de la terre […] tous les donnés et les arguments physiques religieuses ont permis de démontrer la position centrale, la fixation et l’aplatissement de la surface de la terre, la révolution du soleil et de la lune autour d’elle ».
L’encadreur de cette thèse, Jamel Touir, est maître de conférence à la faculté des sciences de Sfax et ancien député à l’Assemblée Nationale Constituante (ANC). Il se défend en rappelant que la Constitution garantit la liberté de penser et la liberté académique. Il affirme par ailleurs être « l’objet d’une campagne malveillante, portant atteinte à sa réputation et à ses compétences scientifiques […] L’étudiante que j’encadre a voulu revoir la théorie de la gravitation de la Terre autour du Soleil, en proposant l’hypothèse inverse. Ce n’est qu’un brouillon ».
Le tollé est tel que le ministère de l’Enseignement supérieur a ouvert une enquête. Nous avons demandé son avis à Abdelaziz Belkhodja qui a appelé les vrais universitaires « à se réveiller »avant qu’il ne soit trop tard.
La Nation : Abdelaziz Belkhodja, vous appelez, dans un post, les universitaires à se réveiller « avant de sombrer dans un ridicule qui jettera tout le pays dans l’obscurantisme ». D’abord, qu’est ce qui vous fait dire que la Tunisie risque de sombrer dans l’obscurantisme ?
Tout me le fait dire, de cette Constitution inadaptée, votée en 2014 par une Constituante dont l’un des députés est aujourd’hui le directeur d’une thèse qui affirme – entre autres loufoqueries – que l’âge de la Terre est de 13 000 ans, jusqu’aux crises touchant l’éducation, la médecine et bien d’autres corps de métiers, sans oublier bien sûr l’impuissance manifeste de tous les gouvernements qui se sont succédé depuis 2011. Tout cela procède d’un obscurantisme encouragé par l’absence de réaction de toute une classe dite « intellectuelle » et dont les universitaires devraient être le fer de lance. Or, seul un nombre infime de personnalités réagit. La majorité des Tunisiens, toutes classes confondues, reste indifférente à la montée de l’obscurantisme qui, après s’être installé aux sommets de l’État, atteint désormais le sommet du cursus universitaire.
Quel est donc cet obscurantisme qui aurait atteint le sommet de l’État ?
L’État se soumet à une mentalité rétrograde, il nie l’évidence, refuse de réagir et précipite ainsi le pays dans la décadence. Exemple: toute la population appelle le pouvoir à abattre la mafia qui régit le pays, mais aucun gouvernement n’ose le faire. Autre exemple, tout le monde sait que l’État, sous l’égide de la Troïka, est devenu le premier entremetteur au monde du terrorisme, ce qui a fait de la Tunisie d’aujourd’hui une bombe a retardement, mais rien n’est fait, au contraire, l’impunité est totale, les organisateurs de ce système absolument épouvantable, de vrais criminels de guerre, ont pignon sur rue, ils passent dans les médias, ils sont reçus à la Présidence, ils font partie des forces politiques, ils manipulent la police, l’armée, la justice! Seule la société civile, de temps en temps reprise par les médias, dénonce ces réalités et appelle les gouvernants à réagir. Mais ces derniers, plongés dans des problèmes de gestion courante, incapables de réfléchir ni d’agir, ne saisissent même pas que cette pieuvre transversale aux partis mènera le pays vers le chaos. Un gouvernement doit avoir pour première priorité de la détruire. On ne construit pas avec la racaille. On ne négocie pas avec la racaille. Il faut l’éliminer par tous les moyens, et la Tunisie dispose de ces moyens.
Pourtant, nous sommes sous un « Gouvernement d’union nationale » qui est tout de même le garant d’une entente entre les diverses composantes politiques du pays, ce qui devrait éloigner la Tunisie du précipice
En politique, il n’y a pas pire que l’unanimisme. Surtout si le loup est à votre table. L’unanimisme empêche toute réforme, le pays est otage de deux conservatismes qui n’ont aucune espèce d’idée ni de vision, à part le pouvoir et l’argent. Pour Nidaa, le constat est clair, le parti, vainqueur aux élections, n’a pas été capable de résister aux manipulations destinées à le détruire, il s’est carrément affaissé, laissant ses gouvernements sans politique ni soutien. Ennahdha quant à elle, est une section de l’organisation internationale des Frères Musulmans dont l’objectif est de soumettre les populations à une oligarchie religieuse excluant toute humanité. L’esclavage est plus humain que l’islam politique dont le « Califat de Daech » – qualifié « d’islam en colère » par Rached Ghannouchi – est la fidèle représentation. Il n’y a aucune différence d’objectif entre El Baghdadi et Rached Ghannouchi, à part la méthode. Lisez les écrits de ce dernier, vous en serez convaincus. De plus, ces gens là sont très loin de la religion qu’ils n’utilisent que pour leur ambition de domination. Dans ces circonstances, un Gouvernement d’union nationale est une hérésie, le mot même de « Nation » est pour les islamistes un non sens, alors comment voulez-vous que ces gens là croient en une union nationale ?
Les gens bien informés savent que l’ « union nationale » n’est qu’un vicieux concubinage, ses composantes se tirent dans les pattes depuis le premier gouvernement Nidaa. D’ailleurs c’est Ghannouchi, inquiet des résultats des élections de 2014, qui a promis la future présidence de la République au fils de Caïd Essebsi. Le but de Ghannouchi était, bien sûr, de détruire ce mouvement qui, s’il se disciplinait, risquait de devenir un grand mouvement national pouvant empêcher la Tunisie de tomber dans l’escarcelle des puissances étrangères. Il a réussi, Nidaa n’est désormais qu’un ramassis de clans. La société civile a mille fois averti Nidaa contre ce péril, mais ils sont autistes. Ils voulaient utiliser Ennahdha comme un tremplin, ce fut leur plongeoir vers le néant.
Tous autistes ? Sans aucune exception ? Vous visez aussi le gouvernement actuel ?
Oui, un gouvernement qui met la lutte contre la corruption comme sa première priorité et qui, au premier obstacle, se suffit de mesurettes, est voué à l’échec. Le gouvernement, dans une communication à peine audible, accuse la Justice, qui constitutionnellement lui échappe, et l’Assemblée, qui ne valide pas ses réformes, mais ces excuses sont bidons. Un chef de gouvernement se doit de faire de la politique, or il n’en fait pas, pour des raisons obscures, certainement des ententes occultes.
Que pourrait-il faire?
Si demain le chef du Gouvernement monte au créneau en disant ces vérités aux Tunisiens : que tout le système entraîne un blocage qui va jeter la Tunisie dans le chaos, toute la population le soutiendra, même les députés, dont beaucoup n’attendent qu’un signe d’intelligence, le soutiendront. Les « excuses institutionnelles » sont, certes, un frein, mais pas devant le péril national. Un véritable homme politique soucieux du sort de son pays ne fait pas de concessions face au devoir de pérennité de l’État, or aujourd’hui, malgré une manne financière infinie, le gouvernement n’est même pas capable d’engager la Tunisie dans une politique de grands travaux. Il préfère jouer petit, il préfère d’ailleurs libéraliser que de devenir le véritable initiateur du relèvement du pays.
Vous êtes contre le libéralisme ?
Le vrai libéralisme est méconnu. Adam Smith lui-même appelait à une intervention de l’État. Le libéralisme a de très larges secteurs en Tunisie où il peut s’appliquer, mais beaucoup d’autres secteurs exigent l’interventionnisme. Depuis des décennies, la population est largement dépendante des subventions. On se souvient tous du doublement inconsidéré du prix du pain qui a entraîné la terrible révolte de 1983. Quand un État accorde des subventions, il se doit de posséder des monopoles pour compenser ses pertes sans plomber les secteurs productifs. Or que s’est-il passé en Tunisie ? Depuis la fin des années 1980, l’État, à travers des responsables aussi inconscients que véreux, a, au nom d’un libéralisme débile, abandonné ses monopoles et même tous ses joyaux. Voilà pourquoi il croule aujourd’hui sous les dettes et l’inefficacité. Je vous donne un exemple parmi bien d’autres : dans les années 1970, toutes les surproductions agricoles étaient récupérées par une société d’économie mixte, la Stil, qui achetait les surplus aux agriculteurs à un prix raisonnable, les stockait, puis les vendait à bon prix en Europe. Comment la Stil pouvait-elle se permettre d’agir efficacement, en tant que puissance financière ? Elle gérait plusieurs monopoles, dont l’alcool, l’importation de bananes, etc… La Stil, au service de l’État, avait un trésor de guerre et une puissance organisationnelle qui lui permettait non seulement de réguler l’économie, mais aussi de développer des régions entières. La Stil a été privatisée… Même chose au niveau des banques nationales qui, aujourd’hui, font tout sauf leur mission principale : aider au développement. Avant les années 1980, les banques nationales étaient les initiatrices du développement, on les appelait d’ailleurs les banques de développement (BNA et STB), elles finançaient, entre autres secteurs, ceux stratégiques, que les privés n’avaient pas les moyens de hisser au niveau nécessaire. Au temps de Ben Ali, au nom du pseudo libéralisme, elles ont changé de vocation et se sont mises à financer les affaires et les villas des proches du régimes, elles ont perdu cette fonction primordiale de banques de développement. La Tunisie a vécu sur les acquis d’une génération qui s’était serré la ceinture, puis l’économie s’est effondrée car le tissus économique ne s’est pas renouvelé. Les meilleurs exemples sont ceux du tourisme ou encore du textile. Les unités ne se sont pas adaptées à l’évolution, elles ont vieilli, se sont mises à perdre de l’argent, puis à débaucher. Le problème était en amont : les banques nationales ont cessé de financer les jeunes promoteurs. Les taux de crédit se sont envolés et la Tunisie à cessé de se développer. Aujourd’hui, alors que ces banques croulent sous de mauvais actifs, au lieu de les récupérer — car ils sont toujours là et bien là — et de mettre en place une véritable politique de développement, le gouvernement compte les abandonner. Ce qui va augmenter son incapacité à relever le pays car il perd ainsi la possibilité de maîtriser des taux de crédit qui empêchent tout investissement. Les banques, aujourd’hui, gagnent de l’argent sans réaliser leur fonction première, pire encore, elles sont devenues les premières destructrices de l’économie. En somme la Tunisie a mis en place un arsenal économique que les gouvernements successifs se sont mis à utiliser contre leurs propres agents économiques. Désormais, l’État ne peut plus rien réguler, il devient l’otage d’une économie dépendant d’une oligarchie et de l’étranger, sans parler des trafiquants qui la plombent à plus de 50 %. L’État, trop lourd – 800 000 fonctionnaires – le taux de fonctionnaires le plus haut de la planète, pire que la Corée du Nord, est devenu un monstre parasitant le pays, il va mourir en tuant le pays, ce qui fait le lit des obscurantistes, d’où mon statut.
Mais qu’ont à voir les universitaires là dedans ?
Ils sont les premiers responsables de ce que vit la Tunisie. L’université doit d’abord expliquer ce qui se passe, dénoncer les erreurs, développer des études, des solutions, l’université est la gardienne de l’intelligence d’une nation, c’est à elle de former ceux qui créeront l’opulence. Or elle est devenue le premier repoussoir : le premier objectif des jeunes diplômés est désormais de partir. Ils ne veulent plus servir un pays d’où l’intelligence a déserté. Les solutions ne peuvent venir que d’une jeunesse éduquée dans les meilleures universités. Des universités capables de leur donner les moyens de mettre en forme leurs idées, leurs projets, leurs visions. Tout ce qui manque en fait cruellement aujourd’hui à nos hommes politiques, qui n’ont aucune vision. Je crois sincèrement que la plupart ne savent même pas ce que cela veut dire. Ils ne connaissent même pas l’histoire de ce pays, ils ne connaissent pas la souffrance de son peuple, sa force, sa détermination, sa capacité à se mobiliser pour des causes justes. Ils ne savent pas que la Tunisie a tout inventé, le meilleur comme le pire. Ils ne savent pas que l’intelligence tunisienne est capable de tout. En un mot, ils ne croient pas aux idées. Ils ont, en pleine révolution, cédé au conservatisme ! Or aujourd’hui, cette mentalité exécrable des politiques a atteint l’université où les postes sont devenus des chasses gardées, où toute nouveauté est accueillie avec méfiance, l’enseignement lui-même, dans la plupart des cas, n’est pas basé sur l’intelligence, mais sur l’apprentissage forcé d’une somme de connaissances aujourd’hui à portée d’un clic. Résultat : des étudiants qui ne savent – pour la plupart – ni parler, ni écrire, ni réfléchir, encore moins prendre des initiatives. L’Université est sclérosée par une mentalité et un apprentissage caducs. Aujourd’hui, en navigant sur Youtube, un étudiant a bien plus de chance de réussir qu’en allant à l’université.
Et que préconisez-vous ?
C’est à l’échelle gouvernementale qu’il faut agir pour mettre en place un vrai plan de sauvetage et de développement et initier les réformes nécessaires. Banques, grands travaux, Energie, Education, Informatique, Médecine, Agriculture, Eau, etc… des dizaines de réformes évidentes sont nécessaires, mais un fatalisme alourdi par une pratique politique plombée depuis des décennies par une administration devenue une rente pour ses fonctionnaires, empêchent tout changement.
Il n’y a donc pas de solutions ?
Bien sûr qu’il y en a, même beaucoup plus de solutions que nécessaires, mais il faut un chef d’orchestre pour cela, accompagné de quelques virtuoses et imaginatifs dans chaque domaine. Nous les avons, mais un certain autisme empêche les décideurs d’agir.
Alors quelle est la solution ?
C’est l’émergence d’une élite aujourd’hui dispersée, une élite désabusée, mais bien présente. C’est à tous ces gens portés par des valeurs et des principes, d’agir. Aujourd’hui ils ne le font pas parce qu’ils ne voient pas à travers quel canal ils peuvent le faire, l’État étant sourd et aveugle, et les partis complètement décalés. Mais il y a des échos très puissants sur un mouvement de jeunes qui est en gestation. Je crois qu’à travers ce mouvement, la dynamique prendra car ce sont eux qui ont libéré le pays et ce sont eux qui se doivent de le gérer d’après leur vision. Les autres, ceux qui depuis 2011 sont au pouvoir, ont simplement récupéré un pays libéré qu’ils n’ont jamais compris ni respecté. D’ailleurs, pour la plupart, ils ne savent même pas ce qui s’est passé en 2010-2011, ils sont dans une logique du reniement, d’où leur cuisant échec, toujours renouvelé.