Chômage, Inflation, Dette, Évolution du dinar, Importations, etc., quelles sont les performances des différents gouvernements de 2011 à 2019?
Les chiffres sont têtus. Ils restent la référence suprême pour juger de l’efficacité d’un gouvernement.
La situation, depuis 2011, est difficile et les gouvernements ont tous déclaré qu’ils ont hérité d’une situation difficile. Quelle est la réalité de cet héritage?
Si les premiers gouvernements depuis le 14 janvier ont hérité d’une économie encore viable par rapport à celle d’aujourd’hui, ils ont par contre subi, jusqu’à fin 2013, une atmosphère post révolutionnaire très difficile; alors qu’à partir du gouvernement de transition de Mehdi Jemaa en 2014, la situation générale du pays s’est quelque peu stabilisée, ce qui l’a rendu propice à une reprise économique.
La durée des gouvernement
Un autre élément, très important, doit être prise en compte: la durée. Elle donne plus de chance à un gouvernement de pouvoir redresser la situation, or, très peu de gouvernements, depuis 2011, ont pu en jouir. Voici la durée des gouvernements.
Gouvernement Caïd Essebsi : 9 mois.
Gouvernement Jebali : 15 mois
Gouvernement Ali Laarayedh : 10 mois
Gouvernement Mehdi Jomaa : 12 mois
Gouvernement Habib Essid : 18 mois
Gouvernement Youssef Chahed : 36 mois
Contrairement à tous les autres gouvernements depuis le 14 janvier, celui de M. Youssef Chahed a eu tout le temps nécessaire pour mettre en place les réformes et les actions nécessaires pour redresser la barre, surtout que les effets du terrorisme se sont estompés depuis 2015, l’année terrible où des mesures sécuritaires draconiennes ont été mises en place par le gouvernement Habib Essid.
L’absence de politique
Les gouvernements ont été incapables de communiquer ni d’appliquer des réformes pourtant prêtes, ni d’assurer une reprise économique alors que les projets étaient également prêts. Les vieux réflexes de l’ancien régime ont perduré. Lourdeurs administratives, clientélisme, corruption, influence sur les médias, copinage, absence de projets, d’idées, de vision et incapacité de fédérer les Tunisiens autour d’un projet politique.
Le chômage
La principale cause du soulèvement de 2010 était le chômage. En 2011, il se situait entre 18 et 19%. Il a baissé depuis, mais il s’agit d’une baisse artificielle et fort dommageable pour l’économie car entre 2011 et 2014, des centaines de milliers de chômeurs ont été recrutés dans le service public et les compagnies nationales.
Depuis 2014, le chômage s’est stabilisé entre 15 et 15,5%. Il faut noter que partout dans le monde et même dans certains pays africains, ces 3 dernières années (2016-2019) ont connu une nette baisse du chômage qui se situe aujourd’hui à 8,7% en France, à moins de 3,7% aux USA, 3,1% en Allemagne et aux alentours de 10% au Maroc (tous les chiffres sont de 2019).
Dette publique
Concernant la dette publique, elle est restée relativement stable pour s’envoler sous le pouvoir de Youssef Chahed et atteindre 30 milliards de dinars fin 2019, ce qui constitue une augmentation de 54% par rapport à 2016.
Parité euro-dinar
Le dinar a commencé à chuter sérieusement avec le gouvernement de M. Hamadi Jebali. Il a connu un redressement sous le gouvernement de M. Mehdi Jemaa pour reprendre sa chute sous le gouvernement Habib Essid et s’effondrer sous le gouvernement Youssef Chahed où il a perdu, en 3 ans, 30% de sa valeur. L’actuelle stabilisation du dinar est considérée par l’essentiel des experts comme une stabilisation artificielle due à l’intervention de la BCT sur le marché des devises.
Importations
Les importations étaient de 12 MDT (milliards de dinars) en 2015; 12,6 en 2016; 15,6 en 2017; 19,0 en 2018 et probablement plus de 20 en 2019.
9,78MDT durant le premier semestre de l’année 2019, contre 8,16 MDT au cours du premier semestre de 2018. Soit une hausse de 59% en 3 ans!
Inflation
L’année 2018 s’est clôturée avec un taux d’inflation de 7,5% (6,4% en 2017, 4,2% en 2016)
Au cours du premier semestre de 2019, l’inflation moyenne s’est établie à 7% contre 7,2% à la même période de l’année précédente. Une «Amélioration» à peine sensible, lorsqu’on sait que le niveau reste très élevé: l’inflation sous-jacente hors produits frais et encadrés : 7,6% en juin 2019
Autres chiffres
Déficit budgétaire de l’Etat
5,452 MDT en 2016, soit 6% du PIB, 5,05 en 2018, soit 4,8% du PIB grâce à des ponctions fiscales importantes sur les entreprises et les ménages, freinant en contrepartie l’investissement le pouvoir d’achat et les besoins de financement, donc la croissance
2,445 MDT à fin juin 2019 contre 1,755 milliard DT sur la même période de 2018 (+39,3%)
Déficit courant
8,119 milliards DT (9% du PIB) en 2016 contre 7,552 milliards, (8,9% du PIB) en 2015.
10,7 milliards DT (10,1% du PIB)fin nov. 2018, contre 9,2 milliards à fin nov. 2017 (9,6% du PIB)
La BCT parle pudiquement d’un « élargissement du déficit courant au premier semestre 2019.
Ajoutons à cela plus de 20 MDT de déficit commercial prévu pour 2019, contre 12,6 MDT en 2016…
Balance commerciale
12 MDT en 2015; 12,6 en 2016; 15,6 en 2017; 19,0 en 2018 et probablement plus de 20 en 2019
9,78MDT durant le premier semestre de l’année 2019, contre 8,16 MDT au cours du premier semestre de 2018. Soit une hausse de 59% en 3 ans!
Avoirs nets en devises
12191 MDT au 30/11/2016 (BCT), soit 107 jours d’importation.
13.974 MDT et 84 jours, à fin décembre 2018.
12.959 MDT fin juin 2019 (73 jours d’importation); Une forte détérioration depuis 2016
Quasiment tous ces indicateurs évoluent négativement. La Tunisie est malade de son économie, de sa mal gouvernance, de ses apprentis sorciers, des fausses inaugurations, des faux projets nouveaux et des engagements non tenus. Le déni est pourtant là : «le pays a été sauvé de la banqueroute» (on ne saisit pas par quelle initiative céleste cela a-t-il été réalisé); «les indicateurs s’améliorent» (alors qu’ils se sont plutôt dégradés par rapport à mi-2016); «les dissensions et les manœuvres politiques nous ont empêché de travailler» (archanges étrangers à ces manipulations), Et là, je ne parle pas de toutes les errances politiques ni des drames sociaux, qui ont ponctué cette période, notamment ceux des retraités, des ouvriers et petits employés, dont le pouvoir d’achat a été réduit au moins du tiers en trois ans…« Je cherchais mon plus lourd fardeau, c’est moi que j’ai trouvé » disait Nietzsche…
Depuis le début de l’année, les tunisiens assistent, ahuris et désespérés, à des manifestations, des plateaux télé, des discours, où des aphorismes aussi pompeux que juvéniles les étourdissent de réalisations inexistantes et de promesses éthérées. «Sans nous, le pays s’effondrera», entendent-ils de plus en plus souvent, à travers des messages directs ou subliminaux. Mais la Tunisie se perd depuis, car ne sait pas conduire qui veut un pays dans ses dimensions politiques et socio-économiques si complexes. « A celui qui ne sait pas vers quel port il navigue, nul vent n’est jamais favorable » écrivait aussi Sénèque.