Shasha SAFIR-GUIGA, Rencontres d’une vie. Adaptation de Cyrille Boulay. Préface de Frédéric Mitterrand, Tunis, Impression Simpact, s.d [2020].
C’est un témoignage fascinant d’un temps pas si lointain que lègue, pour les générations actuelles et futures, l’artiste peintre et calligraphe Shasha Safir-Guiga (1939-2018).
Découpé en quatorze tranches savoureuses, son témoignage se lit comme un roman et révèle une personnalité hors du commun, celle d’une femme émancipée, audacieuse et pleine de vie.
Tout en étant de facture biographique, le genre n’est ni évènementiel, ni chronologique, comme le précise dans le préambule, son mari et compagnon de vie, Driss Guiga, l’ancien grand commis de l’Etat et ministre de Bourguiba.
Le témoignage est l’écho de plusieurs voix : celles de Shasha Safir et de Driss Guiga adaptées admirablement par Cyrille Boulay, l’amoureux de la Tunisie et l’auteur de plusieurs monographies sur les cours royales européennes.
Les souvenirs sont égrenés au fil des rencontres et l’évocation des moments forts, vécus intensément, donnent à voir une période bouillonnante de l’histoire culturelle de l’époque.
En tant que tel, le récit de Shaha Safir-Guiga constitue un document de référence pour la connaissance des arts, de la politique et des relations publiques et diplomatiques de la Tunisie indépendante.
En parcourant ce livre accompagné d’une belle collection de photographies, le lecteur/la lectrice est renseigné(e) sur les traits des personnages illustres que l’artiste peintre eut l’honneur et le plaisir de connaître de près.
Parmi ces figures célèbres, il y aurait lieu de citer à l’échelle nationale, Wassila Ben Ammar, Lamine Bey, Hamadi et Ali Ben Salem, Samia Zaouche Ben Khelifa… et à l’internationale, la reine Elisabeth II, le Chah d’Iran, l’astronaute Neil Armstrong, les actrices Greta Garbo, Anita Ekberg, Sophia Loren, Irène Papas…la Diva Oum Kalthoum et de nombreux autres artistes, sans oublier les compagnons proches et non moins célèbres : George Sebastian, Giorgio de Chirico, Hubert de Givenchy…tous appartenant, à l’évidence, à la « haute société ».
Ce goût de la mondanité et du raffinement n’est aucunement contradictoire avec la simplicité de vie, la jovialité et la sensibilité dont témoigne l’accueil qu’elle réserve à tout le monde, en dépit des épreuves de la disgrâce et de l’exil connus par le couple Guiga, à la fin du règne de Bourguiba.
Originaire de la ville de Saida, dans l’Oranais algérien, Shasha a aimé profondément son pays d’adoption, la Tunisie, comme ses quatre enfants, sa famille élargie et ses proches amis. Et tout autant Hammamet, la ville où elle choisit, avec son mari, d’élire domicile et d’inviter tout ce « beau monde » à jouir de la mer, des jardins, de la cuisine, du partage et de la convivialité.
C’est une période heureuse qui transparait le long du récit-témoignage suscitant légitimement la nostalgie de Frédéric Mitterand, l’ami de toujours de la Tunisie, qui voit en Shasha « un centre de gravitation de la vie artistique internationale », et une personne distinguée, « toute d’ardeur et de bienveillance ».
En somme, c’est une trace magnifique que transmet aux autres que nous sommes, Shasha Guiga, à travers son parcours de vie exceptionnel, confirmant par là ce que disait le grand poète et artiste libanais Jibran Khalil Jibran :
« Nous ne vivons que pour découvrir la beauté. Tout le reste n’est qu’attente. »
Par Mohamed Kerrou