L’Arabie saoudite, l’Égypte, Bahreïn et les Émirats arabes unis ont annoncé, tour à tour, lundi 5 juin, la rupture de leurs relations diplomatiques avec le Qatar, accusé de soutenir les terroristes d’Al-Qaïda, du groupe État Islamique et des Frères musulmans.
Selon plusieurs observateurs, c’est lors de la visite de Donald Trump en Arabie Saoudite (20-21 mai) que tout s’est joué.
Devant une cinquantaine de chefs d’État arabo-musulmans, le président américain avait alors désigné l’Iran comme l’adversaire absolu et la source de tout terrorisme. La déclaration de Trump est inepte car l’Iran, loin de soutenir le terrorisme, est justement, avec la Syrie, l’Irak et la Russie, au premier rang de la lutte anti-terroriste. Mais la raison est simpliste et primaire : les USA et les pétromonarchies sont alliés de fait contre l’Iran. Les uns à cause du soutien iranien au Hezbollah, unique ennemi fiable d’Israël et les autres à cause de leur peur bleue des chiites dont la puissance et le sens de l’organisation menacent très sérieusement l’hégémonie sunnite sur le Proche-Orient.
Mais le Qatar, qui a toujours veillé à garder de bonnes relations avec l’Iran et qui soutien les Frères musulmans, a une approche diamétralement différente. Le richissime émirat qui a lancé une OPA sur le printemps arabe, a été à deux doigts de réussir. Misant sur ses alliés Frères musulmans, il a réussi, de 2011 à 2013, à asseoir son hégémonie sur l’Égypte, une partie de la Libye et la Tunisie. Mais l’incompétence des Frères musulmans et le violent engagement en Syrie contre le régime de Bachar al-Assad – avec l’appui de l’Otan et de l’Arabie Saoudite – qui a entraîné l’intervention de la Russie et de l’Iran, ont bouleversé tous les plans.
L’aventurisme qatari, loin d’assurer le leadership de l’émirat a, en fin de compte provoqué :
– un puissant développement du terrorisme international ;
– le retour de la Russie et de l’Iran au premier plan ;
– la ruine de nombreux pays arabes, dont l’Arabie Saoudite ;
– le chaos dans d’autres pays arabes comme la Syrie et la Libye.
Par ricochet, cet aventurisme, financé à coup de milliards de dollars, a entraîné une crise de confiance qui s’est propagée jusqu’en Occident et qui n’a pas été sans conséquences sur le Brexit et l’élection de Donald Trump.
Remettre de l’ordre
Après tous ces bouleversements, il fallait, pour l’Occident, redessiner des lignes directrices. La première d’entre-elles – qui a fait l’unanimité – est celle de la lutte antiterroriste. Comme bien des pays ont instrumentalisé les terroristes, il fallait désigner un bouc émissaire, or, c’est incontestablement le Qatar qui était en première ligne. C’est lui qui a mis en place, avec une grande efficacité, les réseaux de recrutement qui ont transféré des dizaines de milliers de « jihadistes » en Syrie. Certes, la nébuleuse intégriste est bien plus compliquée, mais il est indéniable que la machine terroriste mise en place en 2012 en Syrie (et dont les frappes collatérales ont touché de nombreux pays), l’a été sous l’égide du Qatar.
Or qu’a fait le Qatar au lendemain de l’échec de sa guerre contre la Syrie ? Il s’est rapproché de l’Iran et a même investi dans des compagnies gazières russes !
C’en était trop, même pour ses meilleurs alliés. Trois jours après le départ de Donald Trump d’Arabie Saoudite, la machine s’est mise en branle. La presse arabe a publié des propos qu’aurait tenus l’émir du Qatar, présentant l’Iran comme « un facteur de stabilité au Moyen-Orient, un nécessaire partenaire stratégique qu’il faut arrêter de considérer comme un ennemi ».
Le Qatar dément, parle d’un piratage de son agence de presse, invite même le FBI à enquêter sur le piratage, mais c’est une véritable campagne qui s’est déclenchée contre l’émirat. Pris de panique, celui-ci a tenté de négocier son retour en grâce en acceptant toutes les conditions de l’Arabie Saoudite, dont la fin de ses relations avec les Frères musulmans, mais c’était trop tard.
Quelle position pour la Tunisie ?
Cette évolution politico-stratégique est importante car l’Arabie Saoudite, soutenu par l’ogre US, est désormais intraitable sur le dossier.
On se demande comment la politique étrangère tunisienne va se sortir de cette crise car depuis 2011 et plus encore depuis 2012, avec l’arrivée de la Troïka au pouvoir, la diplomatie tunisienne est devenue une courroie de transmission des desideratas du riche émirat. Or, la diplomatie tunisienne a développé les mêmes rapports de soumission avec l’Arabie Saoudite.
Avec l’arrivée de Nidaa Tounes au pouvoir, en 2015, tout le monde attendait une nouvelle politique étrangère, mais rien n’y fit, toutes les tares de la politique étrangère tunisienne furent renouvelées, souvent avec encore plus de zèle, comme lors de l’inscription du Hezbollah comme « organisation terroriste » que la diplomatie tunisienne a entérinée, ou encore comme la participation symbolique de la Tunisie à la coalition rassemblée par l’Arabie Saoudite pour sa guerre au Yémen.
Ce lundi matin, une source au sein du ministère tunisien des Affaires étrangères, a déclaré que « la Tunisie n’allait pas interférer dans la crise du Golfe ». Mais la diplomatie tunisienne, depuis 2011, n’a même plus « le luxe » de ne plus interférer. L’Arabie Saoudite va exiger un engagement de la Tunisie, un engagement qu’elle va présenter comme une « lutte contre le terrorisme ».
Si la Tunisie va demander des précisions quant aux accusations de « soutien au terrorisme » portée contre le Qatar, le déballage risque d’être dangereux pour tout le monde et même pour la Tunisie qui, en plus d’être une des plus grandes bases au monde de Frères musulmans, est le plus grand exportateur de terroristes.
La seule position salvatrice pour la Tunisie dans cette crise, consisterait à déclarer avec fracas sa neutralité politique. Mais elle n’est pas à la portée d’une diplomatie empêtrée dans de nombreuses dépendances et compromissions. Une chose est sûre, le moment est venu de redéfinir la politique étrangère tunisienne.