Les municipales tunisiennes du 6 mai ont été marquées par l’abstention, par le fort recul des deux principaux partis et par la victoire des listes indépendantes.
Une gravissime abstention marque la désaffection des Tunisiens pour la politique
L’abstention a atteint les 2 tiers des électeurs. Elle est même aggravée si on la considère par rapport au nombre des Tunisiens en âge de voter. Là, elle représenterait les 4/5e du collège électoral.
C’est, bien sûr, le résultats des promesses non réalisées et d’une gouvernance catastrophique qui n’a fait que s’aggraver pour mettre le pays, aujourd’hui, au bord du précipice, ce qui a éloigné le peuple de la vie politique, d’autant plus que l’essentiel des maux contre lesquels les Tunisiens s’étaient révoltés en 2011 se sont aggravés.
Les « Indépendants » vainqueurs du scrutin
Le vainqueur des élections n’est pas un parti, mais un magma, celui des « Indépendants ». Avec 28% des voix, les « Indépendants » arrivent devant Ennahdha qui est à un demi point. Loin derrière, Nidaa Tounes, le parti du président et du chef du gouvernement, ensuite, les autres partis, ensemble, sont à 14% et enfin les coalitions à 8%.
Le triomphe des Indépendants est remarquable car loin de jouir des capacités financières ou organisationnelles ni des possibilités médiatiques des partis, ils sont arrivés à arracher la majorité dans des villes très importantes. Leur mérite est d’autant plus grand que dans le meilleur des cas, ces listes indépendantes travaillent depuis 6 mois seulement alors qu’Ennahdha est quadragénaire et que Nida, son alter ego, a récupéré l’essentiel du personnel politique de l’ancien régime, ce qui lui confère une ancienneté encore plus grande que celle de son allié islamiste.
Un autre signe très important du recul des islamistes a été révélé par ce scrutin. Ennahdha, comme tous les partis religieux, avait une forte capacité de mobilisation qui aurait dû profiter du faible taux de participation, or ce n’est pas le cas. Ennahdha est passée de 1,5 million de voix en 2011 à moins d’un million en 2014 et à 400 000 aujourd’hui. Ce qui signifie que le parti islamiste a perdu presque plus de 2/3 de son électorat. Nida a perdu la même proportion en moins de temps encore.
Les Indépendants, un mouvement spontané
Toutes ces considérations font de la victoire des Indépendants quelque chose de phénoménal. Là où une liste était un peu plus organisée que les autres, elle est première. À Tozeur, Al Hadher Wal Mostakbal arrive première avec 24,5% des voix, à l’Ariana, le doyen Fadhel Moussa a obtenu 33% des voix. À La Marsa, la municipalité la plus symbolique du pays, Slim Maherzi, médecin et ancienne gloire de l’équipe sportive locale est premier à la tête de la liste La Marsa Change. En seconde place, une liste indépendante également, celle menée par Moez Bouraoui « Les Couleurs de La Marsa ». Dans bien d’autres villes les Indépendants sont premiers ou deuxièmes. La Marsa est le véritable laboratoire des élections car, là bas, les Indépendants ont commencé à travailler assez tôt et assez sérieusement, et l’expérience pourra être suivie par les autres lors des prochains scrutins car Ennahdha comme Nidaa sont en définitive loin d’être des foudres de guerre.
Voici une dernière estimation des résultats des trois premiers :
Les Indépendants : 505 000 voix
Ennahdha : 495 000
Nidaa Tounes 404 000
Peut-on considérer les « indépendants » comme un mouvement?
Certes, il s’agit d’un magma de listes, mais les points communs sont nombreux car toutes ont refusé de s’intégrer dans les formations existantes alors que celles ci embrassent l’ensemble du spectre politique, ce qui indique que la dynamique est spécifique, forte et réelle. Ce mélange confus de liste pourrait-il se transformer en mouvement? Il est encore trop tôt pour le dire, par contre, l’écrasante majorité des Tunisiens appelle à une nouvelle donne politique et l’expérience de ce 6 mai 2018 offre de vastes perspectives.
Les indépendants, incontournables pour la désignation des maires
Les Indépendants sont incontournables pour la désignation des maires dans la grande majorité des municipalités du pays. À moins bien sûr, que Nida et Ennahdha ne s’entendent, ce qui marquerait, à court terme, la mort de Nida car cette fois-ci encore, pour ameuter ses votants, Nida a crié au loup contre Ennahdha. S’allier à elle une nouvelle fois, après le mariage de 2015 qui lui a fait perdre les 4/5e de son électorat, serait signer son arrêt de mort.