L’Europe importe, par an, pour 1300 milliards de $ de gaz (au prix actuel). La chute du régime syrien n’ayant pas eu lieu, le gaz qatari ne passera pas par la Syrie et le principal fournisseur du plus grand marché du monde, l’Europe, restera la Russie.
Retour sur la situation des principaux belligérants et anticipation sur la réaction du futur gouvernement américain.
Le maintien du régime de Bachar Al Assad entraîne au moins deux conséquences majeures:
1/ L’axe chiite Iran, Irak, Syrie, Liban sort renforcé.
2/ Le gazoduc qatari ne passera pas en Europe
- Pour l’Otan, cela signifie que son principal ennemi désigné – la Russie – ne fera que gagner en puissance financière, en influence géopolitique et en prestige personnel de Vladimir Poutine, sans oublier l’expérience militaire acquise sur le terrain.
- L’Iran, qui en 2014 a normalisé ses relations internationales après sa mise à l’index pour ses ambitions nucléaires, va pouvoir faire parvenir son gaz en Europe, via l’Irak et la Syrie. Le pays puise dans le même gisement que le Qatar. Ce dernier, assez réactif et sans états d’âme, vient d’acheter une part importante d’une grosse société de gaz russe.
- L’Irak va bientôt se libérer, lui aussi, de la main mise de Daech sur une partie de son territoire. Son retour dans le concert des nations se fera en même temps que celui de la Syrie, probablement avec un grand plan de développement irano-russo-chinois.
- Pour les wahhabites, la situation est plus que catastrophique. La défaite politique et stratégique en Syrie a contribué à reconstituer, avec force, l’axe chiite, ennemi absolu des sunnites, désormais plus puissant que jamais. Les milices libanaises et iraniennes, aux côtés des armées irakienne et syrienne, avec en sus, une coordination russe, ont acquis une importante expérience militaire contre le terrorisme sunnite. Il faut également garder à l’esprit l’engagement militaire au Yémen qui s’est transformé en bourbier pour les wahhabites.
- Israël, après avoir soutenu Hillary Clinton lors de sa campagne électorale, a opéré un retournement à 180 degrés en se jetant dans les bras du vainqueur, provoquant ainsi le dépit des démocrates. Barack Obama et John Kerry ont soudainement renoué avec leurs valeurs humanistes et sont devenus, à 20 jours de leur sortie du pouvoir, les meilleurs défenseurs des droits des Palestiniens. Mais Israël reste dans l’expectative. Le Hezbollah, son plus crédible ennemi sort renforcé du conflit et son principal soutien, l’Iran, est redevenu fréquentable, avec l’accord sur le nucléaire ratifié par le Conseil de sécurité de l’Onu. L’élection de Donald Trump et ce qu’il a laissé transparaître de sa future politique étrangère au Moyen Orient laissent cependant à l’État hébreu d’éventuels dividendes.
- Grande volte-face, celle de Recep Erdogan qui n’hésite plus à accuser ses alliés de l’Otan d’avoir soutenu Daech. La Turquie, entre deux puissants blocs, va-t-elle finir par tourner le dos à une Europe qui ne veut pas d’elle, et s’engager dans une alliance stratégique avec l’Asie? Pragmatique, Recep Erdogan trinquera avec les deux et boira avec le plus offrant. Il mettra aux enchères son rôle dans l’Otan, tout en misant sur les puissances asiatiques qui lui offrent d’importantes perspectives économiques.
Ainsi, au lendemain de la Guerre de Syrie, la Russie et son alliée, la Chine, se placent comme les éventuels piliers d’un nouvel ordre mondial. Rappelons qu’en 2016, la Chine a investi 160 milliards de dollars à l’étranger. Ses excédents commerciaux lui permettront de poursuivre cette politique d’investissement au niveau régional, et d’avancer ses pions dans le domaine stratégique des hydrocarbures. Notons que depuis plus d’une décennie, les Chinois ont énormément investi dans le pétrole irakien.
La grande inconnue : la nouvelle donne Trump.
Devenus non seulement indépendants en matière d’hydrocarbures, mais également exportateurs, grâce au gaz de schiste, les USA ont, sous la présidence d’Obama, entamé un virage isolationniste et commencé à retirer leurs troupes du Moyen Orient ; même si en fin de course, avec le conflit syrien, la tendance s’est quelque peu inversée. D’autre part, l’autorisation donnée par le Congrès aux proches des victimes du 11 septembre d’intenter des procès en réparation contre l’Arabie Saoudite est un signe d’abandon de l’allié wahhabite. L’Arabie Saoudite, suite à des politiques budgétaires catastrophiques, s’est retrouvée dans une mauvaise situation financière qui n’autorise plus les USA à la considérer comme leur coffre-fort. Cette situation ne permet plus à l’Arabie Saoudite de jouer sur le prix des hydrocarbures dans l’intérêt stratégique des USA. Le pays a d’ailleurs déjà négocié des baisses de sa production pour faire remonter les prix et couvrir ainsi son immense déficit.
Recul des USA au Moyen Orient?
Un recul de l’influence étasunienne au Moyen Orient inciterait la Russie à jouer le rôle du gendarme du Moyen Orient. Ce rôle pourrait encourager l’Europe à entamer une détente avec la Russie. Cette éventualité paraît difficile à concevoir, même si les dernières élections en Europe et aux États-Unis ont complètement chamboulé l’intelligentsia occidentale pour qui la chute du régime syrien constituait un point de non retour. Donald Trump, en affichant sa sympathie pour Vladimir Poutine et ses intention anti terroristes, a bouleversé les plans de ses prédécesseurs. Jusqu’à quel point? L’Amérique peut-elle sérieusement remettre en question son propre réseau de pouvoir mondial? La défaite conjuguée de l’Otan et des wahhabites en Syrie est une catastrophe géostratégique pour l’Otan qui perd sur tous les plans. L’organisation internationale en sort très affaiblie, on évoque déjà sa dissolution.
Alors comment les États-Unis de Donald Trump vont-ils pouvoir défendre leur leadership? Est-il possible d’esquisser, à partir des discours post électoraux mais antérieurs à l’arrivée du nouveau président à la Maison Blanche, une nouvelle politique étrangère américaine? Les trois axes sur lesquels Donald Trump s’est exprimé sont : une nouvelle rigueur envers la Chine, l’Iran et un soutien encore plus affirmé pour Israël. Mais pour chacun de ces trois axes, les déclarations de Donald Trump se démarquent du réalisme.
L’interdépendance économique avec la Chine oblige le nouveau président américain à faire preuve de modération, la signature par le Conseil de sécurité de l’Onu d’un accord nucléaire avec l’Iran limite les possibilité de sa mise à l’index par les USA, d’autant plus que ces derniers ont compris tardivement que l’Iran est bien plus crédible que les wahhabites. Quant à la proposition de transférer l’ambassade américaine de Tel Aviv à Jérusalem, en contradiction avec tous les traités ratifiés, ce serait faire de Donald Trump, dont l’image est déjà sérieusement écornée, un paria du droit International, et cela rejaillirait nécessairement sur l’État hébreu dont la politique coloniale a été unanimement condamnée lors d’un vote historique à l’ONU, le 23 décembre dernier.
En définitive, si les conséquences de la Guerre de Syrie sont assez claires pour l’axe chiite, désormais recomposé, et pour son allié Russe, devenu le gendarme du Moyen Orient, elles sont inquiétantes pour l’Occident dont l’organisation militaire, l’Otan, est remise en cause, catastrophiques pour les wahhabites qui ont perdu toute crédibilité et mitigées pour Israël qui espérait les démembrements de l’Irak et de la Syrie.