Turkia Labidi est agrégée d’Histoire et enseignante, elle a publié trois romans historiques, « Les Exilés de Valence ». « À Toi Abraham, mon Père » et « Les Chemins de la Lumière ». Ce texte est extrait de son livre « L’Histoire de la Tunisie ».
Quand les Arabes sont arrivé en Tunisie, les Byzantins y étaient installés depuis plus d’un siècle, depuis exactement l’an 533, quand l’armée du général byzantin Bélisaire, envoyé par l’empereur Justinien qui réside à Istanbul (À l’époque dénommée Constantinople) , débarque sur la plage de Chabba et se dirige vers Carthage.
Byzance a brillé de mille éclats en Tunisie, un Carthaginois a même dirigé l’Empire byzantin: Héraclius, qui a même songé – devant le danger perse en Orient – à transférer en Afrique la capitale de son Empire.
Les Byzantins ont construit un grand nombre de forteresses et des grandes murailles autour des villes. Ces fortifications sont élevées pour résister aux attaques très fréquentes des tribus berbères.
Dans un souci de rapprochement avec les tribus berbères, le prince Grégoire a choisi Sbeïtla comme la nouvelle capitale de l’Afrique byzantine. En même temps, Grégoire s’efforce de repousser les attaques des nouveaux venus : les Arabes, arrivés sous les ordres du gouverneur d’Egypte.
L’historien Ibn Khaldoun dit dans son livre “Ibar” que l’armée byzantine, aidée des Berbères, compte 120 000 hommes alors que celle des musulmans n’en compte que 20 000. Malgré cela, la ville ne résiste pas longtemps, elle est prise et pillée par les Arabes en 647. Grégoire est tué, un butin énorme et un grand nombre de femmes tombent aux mains des conquérants – dont la fille de Grégoire, offerte à Abdallah Ibn Zûbayr, fils d’un célèbre compagnon du Prophète.
Mais cette attaque de l’an 647 restera sans lendemain. Riches de leur butin, les Arabes repartent vers l’Egypte. Il faudra un demi-siècle encore pour que la Tunisie byzantine cesse d’exister. C’est en 698 que Hassan Ibn Nômane prend définitivement Carthage et sonne ainsi la fin de la domination byzantine en Afrique. Mais la conquête du Maghreb par les Arabes sera longue et très, très difficile.
Après la victoire de Sbeïtla en 647 et le retour des Arabes en Egypte avec des trésors énormes plein les bras, la conquête arabe de l’Ifriqya connaît une longue pause de vingt ans qui correspond, en fait, à la période de troubles qui a commencé en Orient avec l’assassinat du troisième calife Othman. D’autres tentatives ont lieu, mais aucune d’elles n’aboutit à une véritable domination. C’est en l’an 670, sous les ordres du chef de guerre Ukba Ibn Nafî, envoyé par le calife de Damas, que les troupes arabes reviennent cette fois en Tunisie et posent la première pierre de la ville de Kairouan.
Les colonnes et les marbres arrachés aux palais byzantins et aux églises servent à bâtir la nouvelle ville d’Ukba qui songe à consolider la conquête par la fondation d’une ville-camp, Al Qayrawan, d’où se répandra l’Islam sur tout le Maghreb. Bénéficiant de la confiance de Mu’awiyya, calife omeyyade de Damas, Ukba est nommé gouverneur de l’Ifriqya.
Les Byzantins sont en partie anéantis, mais les Berbères ne se laissent pas dominer facilement. Au moment où Ukba essaie de leur faire face, le pouvoir est entre les mains de la tribu Awraba, du groupe berbère connu sous le nom de Baranis, avec à sa tête son chef Kassila.
Ukba investit la Numidie, pays berbère tenu d’une main de fer par les Awraba. Ces Berbères de religion chrétienne sont les alliés des Byzantins. Une guerre terrible se déroule entre les Arabes d’un côté et les alliés Berbères-Byzantins de l’autre.
Victorieux, Ukba et ses compagnons amassent un butin énorme et avancent à présent vers l’ouest afin de soumettre les tribus berbères du Maroc. De Tahert en Algérie, ils vont à Tanger, puis dans le pays du Sous, dans le Sud marocain… Là, le chef arabe s’arrête car seul l’Atlantique lui fait face. Il fait demi-tour et, sur le chemin du retour, près de Biskra, les troupes arabes subissent une embuscade, ils sont en difficulté et Ukba meurt, tué par des partisans de Kassila aidés des Byzantins.
Mais les Berbères, si jaloux de leur indépendance, sont désunis. Les Arabes réussissent à tuer Kassila, les Baranis sont anéantis, mais les Bûtr, un autre grand groupe berbère, ne lèvent pas le petit doigt pour les soutenir ; pourtant, en 689, grâce à ces mêmes Bûtr, la résistance berbère face aux Arabes reprend de plus belle, à partir, cette fois, des montagnes de l’Aurès.
A la tête des résistants, la célèbre Kahéna, chef de la tribu Jerawa des Bûtr. Cette femme, la “Lionne de l’Aurès”, symbolise le dernier mouvement de résistance berbère.
Pour soumettre cette résistance, le calife envoie un nouveau chef de guerre, Hassan Ibn Nômane, à la tête d’une armée composée d’au moins 40 000 fantassins et cavaliers.
Après avoir attaqué Carthage et forcé ses habitants byzantins à fuir hors de l’Ifriqya, le conquérant arabe se dirige vers le bastion de la Kahéna.
Il installe ses troupes à Kairouan et de là, il marche sur l’Aurès, mais la Kahéna inflige à l’armée arabe une défaite sans précédent et poursuit les fuyards jusqu’aux portes de Gabès. Hassan Ibn Nômane se réfugie à Tripoli.
Les compagnons de la reine berbère s’emparent alors des villes importantes et se livrent au passage au pillage de quelques cités, brûlant les récoltes et se mettant ainsi à dos les habitants.
Mais, quelques années plus tard, Hassan Ibn Nômane revient à la charge, il trouve le moyen de diviser les rangs berbères et livre à son ennemie une guerre sans merci. Cherchant à fuir dans ses montagnes, la Kahéna est tuée en l’an 700 et c’est près de la frontière algéro-tunisienne, à l’endroit appelé “Bir El Kahéna”, que la reine berbère rend son dernier soupir.
Les Baranis, l’autre clan berbère, ne lui sont d’aucun secours. Le chef arabe reprend Kairouan, Carthage et Tunis, qui va petit à petit prendre forme, surtout avec la construction de son arsenal et de son port, œuvres d’Hassan Ibn Nômane.
Une fois la Tunisie soumise, les Arabes, et avec eux les autochtones, vont pouvoir occuper toute l’Afrique du Nord.
Ils traversent même le détroit de Gibraltar et une fois sur la terre d’Espagne, le chef berbère Tarik ibn Ziad brûle sa propre flotte pour obliger ses compagnons à choisir entre le Jihad et la mort : « L’ennemi est devant, la mer est derrière » !
Kairouan, qui n’était au début qu’un campement militaire, est devenu au fil du temps une grande ville.
La mosquée d’Ukba, bâtie dans un premier temps avec des matériaux très simples, est agrandie et son minaret élevé. La ville est entourée de remparts, elle renferme en son centre la grande mosquée et le palais du gouverneur, puis tout autour des quartiers d’habitation et des souks spécialisés selon les métiers.
En l’an 800, Kairouan devient la capitale de l’Etat aghlabide. C’est-à-dire que la Tunisie ne relève plus ni de Damas ni de Bagdad. C’est Ibrahim Ibn Al Aghlab Al Tamimi, nommé gouverneur par le calife abbasside Haroun Al Rashid, qui obtient le titre héréditaire d’émir et transmet sa charge à ses enfants.
Des jardins entourent alors la capitale aghlabide. Les villes princières d’El Abbassia et de Rakkada, non loin de Kairouan, comptent de luxueux palais princiers construits au milieu de la verdure et des oliveraies.
Les célèbres bassins aghlabides, de forme circulaire, retiennent l’eau qui, grâce à de grands travaux et ouvrages de canalisation, est captée des sources et des rivières.
Kairouan a été une capitale du savoir aussi connue que Bagdad et Fûstat en Egypte. Elle avait son “Beit el Hikma”, sorte de grande bibliothèque royale située à Rakkada, elle avait aussi son observatoire d’astronomie et son école de médecine représentée surtout par la célèbre famille d’Ibn Al Jazzar.
Les étudiants, qui tenaient des débats très animés, suivaient entre autres l’enseignement d’Assad Ibn Al Fourat et celui de Sahnoun Ibn Saïd, deux célèbres savants de la Tunisie aghlabide. Bien que tous deux défendissent le fikh malékite, une grande rivalité les opposait et donnait parfois lieu à de vives disputes entre étudiants des deux clans.
En juin 827, le prince Ziadat Allah mène l’expédition aghlabide contre la Sicile byzantine. C’est du ribat de Sousse que s’embarquent les armées tunisiennes en direction de l’île méditerranéenne. Le ribat, grande construction munie de tours, comporte une salle de prières et une cour centrale entourée de pièces d’habitation. C’est le lieu de rassemblement et d’embarquement des troupes.
Plus de 10.000 hommes, dont 700 cavaliers, prennent place dans une centaine de navires commandés par le faqih de Kairouan Assad Ibn Al Fourat.
La conquête de la Sicile n’est pas facile, Assad lui-même est victime d’une maladie qui frappe les rangs de son armée, mais les Aghlabides l’emportent sur les byzantins grâce à la valeur de leur marine. Ils vont jusqu’en Italie, où même le Pape tremble sur son siège. Ce conflit dure trois quarts de siècle et se termine par la défaite des Tunisiens. C’est aussi la dernière grande conquête de l’Islam arabe.