Le 16 avril 2017, les Turcs sont convoqués à un référendum constitutionnel pour donner plus de pouvoir au chef de l’État.
Que prévoit la réforme ?
1. Erdogan veut remplacer le système parlementaire par un système présidentiel.
L’article 8 amendé retire au Conseil des ministres le pouvoir et la fonction exécutive. Le président sera désormais élu tous les cinq ans, dans des élections combinées aux législatives. Jusqu’à présent, le président est désigné tous les quatre ans par les parlementaires de la Grande Assemblée nationale de Turquie. Un président ne pourra pas accomplir plus de deux mandats. Concrètement, s’il maintient sa popularité au niveau, M.Erdogan est assuré de rester au pouvoir jusqu’en 2029.
2. Des pouvoirs dans les mains d’un seul homme.
Le futur président, pourra nommer les ministres et des vice-présidents. Il gouvernera par décrets sauf dans les domaines des droits fondamentaux et politiques.
Il aura le dernier mot en matière de sécurité nationale, nommera le chef de l’État-major de l’armée turque et pourra déclarer l’état d’urgence « pour une période n’excédant pas six mois » dans les cas « d’actes de violences généralisés […] menaçant l’indivisibilité du pays et de la nation » ou « la destruction de l’ordre constitutionnel », une référence à une tentative de coup d’État similaire à celui qu’a vécu la Turquie en juillet dernier.
3. Les parlementaires perdent leur droit de censure du gouvernement et ne pourront mener une enquête que sur les vice-présidents et les ministres.
4. Le pouvoir de l’armée continue à être limité. La réforme prévoit la suppression des cours militaires (sauf en cas de guerre ou de mesure disciplinaire) ainsi que de la loi martiale. Lors du coup d’État, des porte-parole des putschistes avaient invoqué la loi martiale.
5. Une main de fer sur le budget. Le futur président aura la haute main sur le budget qu’il soumettra à la Grande Assemblée nationale ainsi que sur la supervision des marchés et du commerce extérieur. Supplantant le rôle actuel du gouvernement, il pourra « introduire des impôts financiers additionnels » sur les importations et exportations pour protéger l’économie turque.
6. L’âge minimal, pour accéder à un poste de député, passerait de 25 à 18 ans. L’interdiction faite aux Turcs qui n’ont pas accompli le service militaire obligatoire disparaît.
7. Simplification ou affaiblissement ? Le Haut Conseil des Juges et Procureurs passe de trois à deux chambres et de 22 à 13 membres. Une dizaine d’articles expliquant le rôle du Conseil des ministres sont abrogés.
8. La Turquie reste une République (article 1) et un « Etat démocratique, laïc, et social gouverné par la loi », « loyal au nationalisme d’Atatürk ». (article 2).
Un scrutin à l’issue incertaine
Un scrutin à l’issue incertaine car si au lendemain de la tentative de coup d’État, la popularité d’Erdogan était au zénith, l’ampleur des purges qui ont suivi – 43 000 personnes ont été arrêtées et plusieurs dizaines de milliers suspendues de leurs fonctions – inquiète désormais les Turcs. Pour beaucoup d’entre eux, la purge massive contre les putschistes, qui s’est étendue aux formations politiques, médias et associations critiques à l’égard de l’exécutif turc, constitue une dérive totalitaire. Cette dérive commence même à inquiéter certains électeurs du Parti d’Erdogan lui-même, l’AKP qui considèrent qu’Erdogan est allé trop loin.
Quant à ses opposants, ils pensent que le dessein d’Erdogan apparaît désormais clairement : liquider l’héritage laïque et moderniste de Mustafa Kemal Atatürk et substituer au kémalisme un « erdoganisme ».
Binali Yildirim a promis l’avènement de la « Turquie forte de demain »
Le Premier ministre Binali Yildirim a promis l’avènement de la « Turquie forte de demain », dotée d’un exécutif solide, uni autour du président seul aux commandes. Le clip de campagne du parti islamiste promet, lui, l’essor de l’économie, les investissements et surtout la poursuite des grands travaux, chers à Erdogan.
L’argument électoral majeur reste la promesse d’éradiquer le terrorisme dans une Turquie qui vient de traverser l’une des années les plus sanglantes de ces dernières décennies.
Le Premier ministre turc fait une promesse: en cas de victoire du « oui » : « La Turquie n’aura plus à vivre avec le terrorisme ». Sauf que le terrorisme, c’est Erdogan lui-même et son AKP qui lui ont fait son lit. Pour abattre un régime syrien « empêcheur de tourner en rond » qui a refusé le passage du gazoduc qatari et qui fait partie de l’axe chiite, Erdogan et ses alliés otano-wahhabites ont recruté, entraîné et armé des dizaines de milliers mercenaires intégristes.
La plupart des attentats qui ont frappé la Turquie n’étaient que des « frappes collatérales » qui ont eu lieu du fait du changement stratégique initié par Erdogan depuis l’intervention massive, en 2015, de la Russie dans le conflit syrien. Ce changement de politique est d’ailleurs, selon plusieurs observateurs, la cause du coup d’État manqué du 15 juillet 2016.
L’opposition dénonce la réforme
Lutte contre le terrorisme et réussite économique ne sont, d’après les observateurs, que des leurres. Il ne s’agirait pas d’un référendum mais d’un plébiscite dans la pure tradition du césarisme.
La principale force d’opposition, le Parti républicain du Peuple (CHP, social-démocrate), dénonce la concentration de tous les pouvoirs dans les mains d’une personne et également un projet du gouvernement qui ne contient aucun remède contre les problèmes graves de la société comme l’économie, le terrorisme, les relations internationales. Les responsables du CHP dénoncent en outre le contrôle des médias par l’AKP.
Le Parti de la démocratie des peuples (HDP), formation de gauche pro-kurde, est un farouche critique des dérives autocratiques d’Erdogan. Plusieurs de ses élus ont été accusés par la justice turque de faire la propagande du PKK.
Annulations en série de meetings en Europe en faveur du référendum pro-Erdogan
Après l’Allemagne et les Pays-Bas, les autorités suisses et autrichiennes ont annulé, vendredi, des meetings de soutien au référendum du 16 avril en Turquie, destiné à renforcer les pouvoirs du président Recep Tayyip Erdogan. Depuis deux ans, l’instrumentalisation des migrants par Erdogan, son revirement sur la question de la Syrie, le coup d’État et les purges qui ont suivi ont créé de graves frictions entre Erdogan et plusieurs dirigeants européens, ces derniers voient d’un mauvais œil sa tentation totalitaire et refusent de laisser les militants de l’AKP exporter leur campagne électorale chez eux.