La présidence de la République, les ministères de la Culture, du Tourisme, de la Défense et des Affaires Etrangères, la Mairie de Carthage et le Club Hannibal travaillent de concert pour édifier un mémorial digne de l’illustre Hannibal Barca. La Tunisie veut renouer avec sa grande histoire.

La famille Barca

Hannibal Barca est le fils d’Hamilcar et le frère aîné d’Hasdrubal et de Magon. Les 4 Barca ont été, l’un après l’autre, chefs de l’État carthaginois d’Espagne et chefs d’état-major des armées. Hannibal, quant à lui, a l’originalité d’avoir été le chef de deux État distincts, la République de Carthage et l’Espagne punique.

Hamilcar et Hannibal fondant Alicante. Mosaïque, Place d’Espagne, Séville.

L’illustre carthaginois a commandé dans 4 conflits et il a été amiral par deux fois, la première fois contre la flotte de Rhodes, la seconde fois contre Pergame. Il a également été urbaniste et a présidé à la construction de deux villes, Artachat en Arménie et Bursa en Turquie, sans oublier une grande activité urbanistique à Carthage même. Comme son père, il a dirigé le parti Réformateur carthaginois. Il a, enfin, été écrivain et porteur d’une grande idée, celle du fédéralisme méditerranéen, idée qu’il a rédigée dans un fameux texte qui nous est parvenu, celui du traité de confédération carthago-macédonienne.

L’histoire a gardé la trace de son tombeau car quatre siècles et demi après sa mort, l’empereur Septime Sévère, d’origine africaine, fit ériger autour de sa tombe un mur d’enceinte en marbre.

Hannibal est un phénomène mondial, reconnu et admiré partout… il est, chaque année, le sujet de nombreuses recherches scientifiques et sa tactique est toujours étudiée dans les écoles de guerre et appliquée sur tous les champs de bataille.
Aujourd’hui Hannibal est célébré partout dans le monde. Quatre villes, aux USA, portent son nom. À Rome même, son buste est exposé au palais présidentiel. Un musée qui lui est dédié a ouvert ses portes en 2017 près du Lac Trasimène (Italie centrale) et chaque année Barletta, l’ancienne Cannae, fête sa victoire. En Espagne, on ne compte plus les festivités en son honneur, il est vrai qu’il avait épousé une Espagnole… Des « routes d’Hannibal » sont inaugurées un peu partout sur son itinéraire et surtout dans les Alpes. Les recherches des traces d’Hannibal rassemblent des passionnés de tous les pays. Aux USA, un universitaire, Yozan D. Mosig a réuni plus de 11 000 ouvrages sur Hannibal, pratiquement la plus vaste bibliographie du monde.

La Tunisie n’est pas en reste. Bourguiba, en 1962, pour orner le tout nouveau Palais de Carthage, a commandé un superbe buste d’Hannibal qui trône aujourd’hui dans la Salle du Conseil. Quelques années plus tard, lors d’un déplacement en Turquie où est enterré Hannibal, il dit au protocole turc qu’il veut aller se recueillir sur sa tombe. Les responsables paniquent, depuis des siècles personne n’a songé visiter la tombe d’Hannibal, on ne sait plus où elle se trouve. Les Turcs emmènent Bourguiba se recueillir devant une vieille ruine. Bourguiba, déçu, déclare: « comment les héritiers d’Attaturk peuvent-ils ignorer la mémoire d’un homme qui a voué sa vie à combattre l’impérialisme ». Avant de quitter l’endroit, Bourguiba recueillera un peu de terre qu’il rapporta avec lui à Carthage. Les Turcs s’en souviendront et, après avoir effectué des recherches, construiront un joli mausolée sur une colline de Gebzé, l’ancienne Libyssa où est mort Hannibal en 183 av. J. C.

Mausolée d’Hannibal à Gebzé, Turquie

Plus de 20 ans plus tard, M. Mongi Gueddas, hôtelier tunisien découvre, lors d’un voyage en Turquie, ce fameux mausolée d’Hannibal. Il décide d’agir pour le rapatriement de ce formidable symbole. Il pense à une grande cérémonie susceptible d’attirer l’attention du monde sur la Tunisie. En 1993, il fonde une association, le Club Hannibal, qui a pour objectif de faire connaître le personnage et d’ériger un mausolée à Carthage pour y rapatrier ses cendres.

Plusieurs projets de mémorial sont projetés, des plans ambitieux sont même exécutés par des cabinets d’architectes (Tarak Ben Miled), mais l’initiative capote par deux fois, les deux fois, c’est le Port punique qui avait été choisi pour abriter le monument.

Arrive la révolution. C’est le moment où jamais. Carthage est la première république du monde et ses institutions, démocratiques, étaient copiées dans toute la méditerranée occidentale. Aristote louait la Constitution de Carthage, la considérait comme la meilleure au monde…

La société civile monte au créneau et des associations décident de promouvoir l’histoire de Carthage. A partir de 2013, tous les 2 août, date de la victoire d’Hannibal à Cannae, une  « fête de Carthage » est organisée par le Club Didon, associé au Club Hannibal. C’est une cérémonie qui prend chaque année plus d’ampleur.

Le président de la République décide de parrainer le projet

En 2015, la question du « retour d’Hannibal » est à nouveau discutée. Le Club Hannibal s’agite, Mongi Gueddas expose le projet au président Béji Caïd Essebsi. Au même moment, Hassan Arfaoui, son conseiller culturel et Moez Sinaoui, ambassadeur à Rome, préparent une exposition du fameux buste de Naples, la représentation la plus connue du Carthaginois.

Exposition du buste de Capoue à Carthage, 2016

En mai 2016, l’exposition du buste d’Hannibal, accompagné de 4 pièces archéologiques majeures du Musée National du Bardo est une belle réussite.

L’idée poursuit son chemin, le Club Hannibal, encore lui, présente un nouveau dossier, illustré et chiffré, aux ministres de la Culture, de la Défense du Tourisme et des Affaires Etrangères qui l’accueillent chaleureusement. Mme Elloumi est enthousiaste et mobilise son département. Les institutions du ministère de la Culture se mettent en branle,  le Directeur général de l’AMVPPC (ANEP), M. Kamel Bchini, le Directeur général du Patrimoine, M. Abdelhamid Largueche, M. Faouzi Mahfoudh, Directeur Général de l’INP, Mme Fatma Naït Yghil, Directrice du Musée National du Bardo et Mme Sondes Dougui, Directrice du Musée de Carthage défendent le projet à tout va. La Défense Nationale, quant à elle, dispose déjà, au sein du Musée de l’Armée, d’un espace qui est dédié à Hannibal et elle affirme un grand intérêt pour l’édification d’un mémorial dédié au plus grand général de l’histoire du pays. De son côté, la Municipalité de Carthage travaille elle aussi, de son côté, pour le retour des cendres d’Hannibal, est présente dans toutes les réunions, elle insiste pour que la pose de la première pierre ait lieu en 2018, année de la 2200e année de la mort d’Hannibal.

Le président de la République accepte de parrainer le projet, un comité est crée, il rassemble toutes ces parties qui commencent par discuter de l’endroit. Certains penchent, encore une fois, pour l’îlot de l’Amirauté, au cœur du Port punique. Le site est prestigieux mais très peu visité. Hannibal pourrait lui donner un sacré coup de pouce. D’autres, comme M. Lotfi Rahmouni, préfèrent la colline de Byrsa et l’esplanade de son musée qui donne sur la plaine et le Golfe de Tunis.

Le choix de l’emplacement est cédé aux scientifiques

Après plusieurs discussions, une procédure est mise en place : donner le choix de l’emplacement aux scientifiques car ce sont eux qui maîtrisent les nécessités archéologiques.

L’Institut National du Patrimoine, sous l’égide de son directeur général, Faouzi Mahfoudh, rassemble les chercheurs Mohamed Hassine Fantar, Fatma Naït Ighil, Wafa Ben Slimen, Sondes Doggui (Conservatrice du site de Carthage), Moez Achour, Mahmoud Sebaï et un membre du Club Hannibal. Ils choisissent l’esplanade de la colline de Byrsa dont une partie, fouillée plusieurs fois, « perturbée », selon les archéologues, peut supporter un mémorial alors que le port punique, lui, ne dispose d’aucun mètre carré non archéologique…

Quel monument pour le mémorial?

Hannibal sur l’éléphant, Nicolas Poussin

Un nouveau comité a été désigné pour concevoir le monument et choisir le lieu du cénotaphe qui prendra très probablement place en contrebas du monument, là où se trouvent les tombes des magistrats de Carthage.

Le monument lui-même, érigé sur la colline de Byrsa, sera visible, par temps clair, de toute la plaine et la Baie de Tunis. Ce sera probablement une statue. Une commission d’expert a été désignée pour présenter au comité élargi les diverses possibilités de représentation et les éléments documentaires (visage, armes, habits…).

Monnaie carthaginoise d’Espagne représentant, selon certains scientifiques, Hannibal

Il faut préciser qu’aucune des milliers de représentations existantes d’Hannibal n’est certaine. Le buste de Capoue est tardif et, comme tout le reste, imaginaire. Seules les monnaies carthaginoises d’Espagne présentent une piste intéressante, mais les avis des scientifiques divergent. Si certains sont sûrs qu’elles représentent les membres de la famille Barca (famille d’Hannibal) d’autres pensent qu’il s’agit de représentations de Melqart (Hercule).

 

 

Au delà de toutes ces considérations scientifiques, techniques et artistiques, Hannibal, qui a voué toute sa vie à la grandeur de Carthage et à l’idée du fédéralisme, va enfin retrouver sa terre de naissance, la Tunisie, qui a renoué, depuis quelques années à peine, avec la démocratie, si vivante à l’époque d’Hannibal, mais qui a connu une bien longue éclipse. Le symbole est fort.


Le témoignage de Tahar Belkhodja à propos du voyage de Bourguiba en Turquie:
« En 1968, alors que j’étais responsable de la Sûreté nationale, il décida de se rendre à Istanbul en “visite privée”. Je l’y accompagnai, connaissant ses intentions et un peu perplexe quant au résultat. Reçu avec le protocole d’une visite d’Etat, il ne se laissa pas détourner de son idée et demanda aussitôt à se rendre sur la tombe d’Hannibal traditionnellement située sur les rives de l’Hellespont (les Dardanelles). Très gênés, les Turcs tentèrent vainement d’éluder ce souhait. Bourguiba, insistant véhémentement, sans la moindre périphrase diplomatique, nos hôtes finirent par nous amener, presque dans le désert, sur un monticule où se dressait une petite construction vétuste : le présumé tombeau d’Hannibal. Aussi bouleversé par la proximité supposée de son héros que par l’état d’abandon de sa sépulture, le Combattant suprême gémit et fondit en larmes. Durant près d’une heure, devant nos hôtes qui ne savaient quelle contenance adopter, il resta là, à méditer entre deux sanglots… Nous passâmes une semaine en Turquie et chaque jour, à tous les officiels, Bourguiba ne parla que de son désir de ramener en Tunisie les restes d’Hannibal avec lui, dans son avion. Pour essayer d’atténuer sa déception, les Turcs firent leur autocritique : oui, ils avaient failli à l’histoire en n’honorant pas comme il convenait ce héros de la lutte contre l’impérialisme romain, mais ils lui construiraient un grand mausolée qui symboliserait, en outre, la fraternité entre nos deux pays. Bourguiba eut du mal à cacher sa déception. Néanmoins, il rapporta avec lui une fiole remplie de sable qu’il avait recueilli lui-même sur la tombe d’Hannibal. »

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