Avant 2011, les Tunisiens étaient passionnés de politique française, à peu près la seule qu’ils suivaient régulièrement du fait de leur francophonie et de l’absence totale de vie politique nationale.
À partir de la Révolution, ils eurent d’autres chats à fouetter et ils se passionnèrent pour leur propre vie politique car, entre théocratie et démocratie, se jouait leur destinée. En fin de compte, c’est la voyoucratie qui l’a emporté et depuis, las des débats stériles, une grande partie de la population s’est de nouveau désintéressée de la politique nationale. La boucle était bouclée, rejoignant la définition littérale de « révolution ».
Le Brexit puis l’élection de Trump ont quelque peu passionné les Tunisiens et voici qu’une présidentielle française croustillante s’est pointée.
Une présidentielle « à un tour », disent les spécialistes puisque selon toute vraisemblance, dans tous les cas de figure, la candidate du Front National passera le premier tour mais pas le second.
Pour assurer à leur candidat respectif le plus de chance de vaincre, la droite et la gauche « traditionnelles » ont procédé à des primaires, mais dans les deux cas, des imprévus ont littéralement explosé tous les plans. Le candidat de la droite, François Fillon, a vu son linge sale exposé partout, des affaires assez fréquentes dans la vie politique française, mais qui siéent peu à la carrure d’un futur président. François Fillon est alors resté scotché à ses 19 % d’irréductibles.
Le vainqueur des primaires de la gauche, Benoît Hamon, largement dépassé par l’outsider Emmanuel Macron, ex-ministre de François Hollande, connaît une vraie dégringolade alors qu’un autre outsider de gauche, Jean Luc Mélenchon, gravit les échelons à grande vitesse grâce à une campagne époustouflante qui passionne ses sympathisants et bouleverse ses adversaires. Jean Luc Mélenchon est un tribun, il tranche avec tous les autres candidats. Un discours naturel, riche, sympathique et particulièrement chargé d’émotions. Une des dispositions du programme de Jean Luc Mélenchon appelle à une Constituante pour une VIe république plus démocratique que l’actuelle, issue d’un « coup d’État légal » de De Gaulle.
Cette mesure nous interpelle.
Ici, en Tunisie, entendre parler d’une Constituante, ça nous donne des crampes aux neurones. La Constituante est, certes, la Rolls de la démocratie, mais quelle perte de temps et d’argent ! Il faudrait d’ailleurs rappeler à notre ami Jean-Luc Mélenchon que la République la plus durable de l’histoire de France, celle qui a définitivement, ou presque, consacré ce régime et mis en place ses élites est la IIIe dont les textes fondateurs n’étaient constitués que de trois lois constitutionnelles. Une diarrhée normative serait la dernière chose dont la France ait besoin, tout comme la Tunisie d’ailleurs, où tout le monde parle de réformes alors que 6 ans après la révolution, le pays croule sous la saleté. À croire qu’il faut des réformes pour ramasser les poubelles, des lois pour se laver et des règlements pour se torcher.
Excusez cette minute tunisienne si peu transposable à la France… De toutes façons, Jean Luc Mélenchon reste le plus dégourdi car il l’a bien dit : pendant que la Constituante planchera sur la future république, lui se comportera en parfait monarque républicain en usant des délices de l’exécutif de la Ve.
Dans les sondages, Jean Luc Mélenchon serait second après Emmanuel Macron (Marine Le Pen étant hors concours du fait de son impossibilité chronique de remporter le second tour). Mais en réalité, rien n’est joué.
Emmanuel Macron – un qadra qui lance des « je vous aime » en se pâmant –, est le premier dans les sondages, mais beaucoup de ses sympathisants sont très peu réceptifs à ses déclarations, ce qui constitue un réservoir électoral particulièrement intéressant – qui s’ajoute à celui de Benoît Hamon qui, chaque jour, perd des électeurs – pour Jean Luc Mélenchon, vu que François Fillon et Marine Le Pen ont déjà fait le plein.
Selon les sondages, 1/3 de l’électorat n’a pas encore choisi son candidat et Jean Luc Mélenchon peut énormément puiser là dedans vu que ce tiers est largement situé à gauche.
Pourquoi les électeurs choisiraient-ils Jean Luc Mélenchon ?
D’abord, la vague anti-système que l’on a vue déferler en Angleterre et aux USA, est toujours aussi puissante. Portée par les réseaux sociaux, elle n’a aucune confiance dans les médias mainstream qui, ces jours-ci, attaquent frontalement et méchamment Jean Luc Mélenchon, ce qui va probablement provoquer l’effet inverse de celui recherché, surtout que Emmanuel Macron, présenté au début de la campagne comme le candidat anti-système, s’est révélé un pur produit de l’intelligentsia, un anti Bachar al-Assad et anti Vladimir Poutine primaire qui fait semblant d’en vouloir au Qatar.
Emmanuel Macron, en cœur avec François Fillon et autres « gardiens de l’ordre établi », accusent Jean Luc Mélenchon d’être un « rêveur », un « petit Hugo Chavez » et autres drôleries ; ils menacent les Français d’une « catastrophe », de « ruine », de « communisme » et autres cataclysmes si jamais il accédait à la présidence. Pourtant, l’ardoise que l’ex-premier ministre de Nicolas Sarkozy et l’ex-ministre des Finances de François Hollande ont laissée à la France est sidérale, elle rend peu crédibles leurs menaces.
Impossible n’est pas français ?
La formule « Impossible n’est pas français » trouve dans l’excellente cuvée 2017 de l’élection présidentielle toute sa saveur. Jean Luc Mélenchon et les autres, nous offrent, nous, simples spectateurs tunisiens, un show du meilleur effet, même si, au fond, les inquiétudes des électeurs français nous font rigoler car pour nous, qui avons vécu en 2011 un raz de marée islamiste, un péril frontiste ou même communiste, c’est du petit lait.
Comme pour la Tunisie, le vrai choix qui s’offre à la France est clair comme de l’eau de roche : se soumettre ou ne pas se soumettre.
Espérons une France insoumise, car seuls les insoumis connaissent le respect, les autres l’ont vendu avec leur âme, aux émirs, qu’ils soient enturbannés ou en col blanc.