L’affaire Fillon n’est que la dernière d’une série ininterrompue de magouilles que la conscience publique française met parfois au jour. Sauf que cette fois-ci, les enjeux n’ont rien à voir avec la moralisation de la politique, ils dépassent même les intérêts de la France.
Du scandale des « avions renifleurs » aux diamants de Bokassa en passant par les affaires de la Société Générale ou du Crédit Lyonnais, la France traîne des centaines de couacs politico-financiers dont le dernier, celui de M. François Fillon, est peut-être le moins grave, sauf qu’il concerne un candidat à la présidentielle, un moralisateur qui n’a pas le droit à l’erreur sur ce chapitre, l’homme d’État républicain devant non seulement éviter, mais aussi combattre l’écueil du favoritisme.
Mais pour ne pas sombrer dans la facilité, il faut évoquer la trame de fond de cette affaire qui a pris d’énormes proportions pour couler le favori des élections. C’est la deuxième fois après l’affaire DSK, que les élections présidentielles subissent pareilles turbulences. Si, pour Dominique Strauss Kahn, la question était purement délictuelle, dans le cas de François Fillon, les choses se compliquent.
Fillon, depuis son succès aux primaires de la droite, stigmatisait l’Otan et appelait à des rapports plus amicaux avec la Russie. Il s’est ainsi positionné du côté de ce nouvel ordre mondial que Donald Trump et Vladimir Poutine évoquent désormais de façon ouverte et qui heurte de front les intérêts multinationaux d’une intelligentsia déjà ébranlée par les changements géostratégiques qui se sont cristallisés – tenons nous en au Moyen Orient – par le maintien du régime syrien, le « retournement » de la Turquie, le renforcement de l’axe chiite et l’échec du gazoduc qatari vers l’Europe. En clair, l’échec d’un plan établi 6 ans plus tôt par l’Otan et les Wahhabites, à la suite des soulèvements provoqués par la révolution tunisienne, pour récupérer le mouvement, mettre à la tête des pays révoltés des Frères musulmans, briser l’axe chiite et enfin, casser le quasi monopole du gaz russe vers l’Europe. Ce plan a échoué, malgré la guerre totale réalisée par jihadistes interposés et les centaines de milliards de dollars dépensés. Mais ce n’est que peccadille devant ce qu’aurait rapporté le passage du gazoduc qatari par la Syrie pour alimenter l’Europe.
Aujourd’hui, alors qu’un nouvel ordre mondial se dessine, tout est fait pour en briser les tenants, sauf que plus rien ne réussit à l’intelligentsia multinationale. Les médias mainstream ne font plus recette, il n’y a qu’à lire, sur les réseaux sociaux, les commentaires des lecteurs sous les partages des articles des journaux les plus prestigieux du monde, pour réaliser que la manipulation de l’opinion ne fonctionne plus. Le premier grand avertissement sur cette nouvelle donne fut le Brexit, le second, un choc majeur, fut l’élection de Donald Trump. Un véritable coup de poing dans l’obscurité. Branle-bas de combat, il faut tenter de reprendre les rennes.
Puis vinrent les Primaires de la droite et le plébiscite de François Fillon. Fillon dérange. Gaulliste, proche de Poutine, une fois président de la République, il prévoit d’initier une coopération Paris-Berlin-Moscou, un nouvel axe trilatéral dans la droite ligne d’un nouvel ordre mondial. Ce que ce regain de nationalisme et de négociations d’États à États mettent en danger, c’est le pouvoir que les multinationales ont gagné ces dernières décennies en imposant une mondialisation dont elles sont presque les seules bénéficiaires. Elles ont fait des États leurs fusibles. Des États avec de moins en moins de pouvoir et assis sur de véritables poudrières socio-économiques. Les gouvernements, de plus en plus faibles, sont devenus de simples courroies de transmission des désidératas des multinationales. De cet état de fait a émergé une génération d’hommes politiques, otages de l’argent, comme le démontrent les journalistes français Christian Chesnot et Georges Malbrunot, dans leur livre sur les liens de la France avec les monarchies du Golfe, Nos très chers Emirs. Ils y dénoncent les relations intéressées qu’entretiennent des membres de la classe politique française, de droite comme de gauche, avec le Qatar. Des accusations retentissantes alors que Doha et Riyad sont fréquemment accusés d’avoir propagé le wahhabisme dans le monde musulman et de financer directement ou indirectement des mouvements terroristes.
Les deux journalistes n’évoquent que les affaires qu’ils peuvent prouver, pour la plupart des petitesses beaucoup plus pitoyables qu’autre chose, mais ils laissent la porte ouverte à des affaires bien plus graves, comme les faramineux investissements opérés par le Qatar en France.
Mais aujourd’hui, pour saisir les enjeux, qui dépassent de loin les petits bonus, même lorsqu’ils atteignent le million d’euros, il faut surtout évoquer l’affaire, bien plus grave, de l’intervention française en Libye. Elle se situait dans la droite ligne de la politique étrangère agressive du Qatar qui a voulu placer ses affidés Frères Musulmans à la tête de tous les pays arabes soulevés contre les dictatures. Quel a été le rôle de la France dans cette opération de grande envergure pour la mise en place d’un leadership islamiste sur le monde arabe ? Il a été pour le moins trouble. Nous avons vu le gouvernement français soutenir ouvertement les islamistes contre les progressistes, et même les monarchies wahhabites contre des Républiques laïcisantes multi-confessionnelles, avec les résultats que l’on connait: l’embrasement de la Syrie, de l’Irak, du Yemen et de la Libye, et le soutien affirmé aux mouvements extrémistes jihadistes prônant le Califat, tels le Front Al Nosra, lié à Al Qaïda mais qualifié par la France, de « mouvement rebelle » contre Bachar el-Assad qui n’est devenu infréquentable qu’à la suite de son refus de faire passer le gazoduc qatari par le sol syrien. C’est là que se situe la face cachée de la politique étrangère française, ce soutien inconditionnel aux wahhabites, malgré les dégâts collatéraux d’une telle alliance.
Ainsi, au delà de l’affaire Pénélope Fillon, ce qu’il faut stigmatiser, ce n’est pas seulement ces déplorables entorses au principe républicain, mais surtout cette décadence qui s’est emparée des responsables, un peu partout dans le monde, au point de soutenir le terrorisme international, pour les joyaux de principautés wahhabites moyenâgeuses.

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