Par Jihene BEN HAMMED
INTRO
Il est à considérer que l’émergence du cinéma après la révolution du décembre 2010-janvier 2011 est la suite d’une lutte d’une jeune génération de cinéastes Tunisiens. Nous voyons fleurir une nouvelle pratique dans la fabrique cinématographique en Tunisie. Toutefois, la question du contexte et condition des enjeux de la production cinématographique quant à ces huit dernières années, représenterait une raison valable pour entreprendre un tel projet.
En s’intéressant aux productions de cette nouvelle génération de cinéastes Tunisiens, nous tenterons de dresser les caractères des manifestes du cinéma poste révolutionnaire. Le concept de manifeste est conçu sous l’expérience non seulement dans son caractère subjectif, mais aussi dans la volonté et l’ambition de développer une nouvelle culture cinématographique, celle du « less is more ». Une technique qui ravive la créativité et le talent de ces jeunes diplômés des écoles de cinémas. C’est également dans cette optique qu’il serait opportun de déterminer la « facilité » ou la « profondeur » de certains rendus cinématographiques qui ont accompagné le soulèvement populaire de 2011.
En soutenant l’idée selon laquelle le manifeste constitue le cœur de ces mouvements, nous y proposons une lecture de cette nouvelle vague de films marquant un tournant fort dans l’histoire du cinéma Tunisien qui souffre du même mal que d’autres secteurs : l’absence d’une volonté politique de changer les choses.
L’axe que j’entends développer dans cet article, est celui du contexte et des conditions de production cinématographique en Tunisie. Mon choix a été porté sur le film Tunisien « The Last Of Us », premier long métrage de fiction du jeune cinéaste Alaeddine Slim. Produit en 2016, ce film a obtenu plusieurs prix dont le prestigieux « Lion du Futur » à la Mostra de Venise en 2016.
Le film a été produit par quatre boites de production Tunisiennes : Exit Productions, Madbox Studios, Inside Productions et SVP. Le film n’a pas eu d’aide du ministère de la culture. La fabrication de ce film s’inscrit parfaitement dans cet axe dans son mode de productions et plus particulièrement dans l’expérience vécue par ces jeunes producteurs tunisiens.
Cette expérience de production cinématographique demeure assez particulière et peut nous renvoyer à d’autres jeunes cinéastes qui ont peut être tenté de suivre cette démarche de production (tel le cas du film « Dachra » de Abdelhamid Bouchnak).
Au départ le projet a été porté essentiellement par les trois boites de production : Exit Productions représentée par Alaeddine Slim, Ismaël, Ali Hassouna, Madbox Studios représentée par Chawki Knis et Inside Productions représentée par Amine Messadi, Kamel Laaridhi et Moncef Taleb. Les principaux fondateurs de ces boites de production sont en fait les membres initiateurs du CIAC ; Collectif Indépendant d’Action pour le Cinéma. Ce collectif a été créé en avril 2009 de manière informelle suite au lancement de la « Commission Nationale pour la Réforme et le Développement du Cinéma et de l’Audiovisuel » à cette époque. Le collectif croyait « qu’une réforme du secteur du cinéma ne peut se faire de manière exclusive, autoritaire et fermée ».
Le travail du Collectif a aboutit à « un rapport complémentaire à celui de la « commission officielle » pour essayer de faire en sorte que la construction de la réforme du secteur se fasse sur des bases saines, transparentes et justes.»
La question que nous tenterons de développer lors de notre texte, tourne autour de la manière à travers la quelle l’émergence des boites de productions ainsi que du nombre croissant des diplômés des institutions étatiques de cinéma, et ce à partir de 2003 (la première promotion de l’ISAMM), a-t-elle pu transformer le paysage cinématographique Tunisien ?
INTERACTION CINÉMATOGRAPHIQUE ENTRE TALENTS ET MOYENS
Après le remarquable engourdissement vécu par le cinéma tunisien durant la dernière décennie avant la révolution de 2011, le voilà renait de ses cendres. Par leurs idéaux, une nouvelle génération de jeunes cinéastes ravivent la création cinématographique tunisienne. Par leurs talents, ils mettent à l’avant la production cinématographique locale au devant de la scène internationale. Faisant œuvre ils réussissent à bouleverser la manière de voir le cinéma chez le public Tunisien.
A quelques exceptions près, le cinéma tunisien, souffrait de la réputation d’être malfamés. Attiré par l’obscurité et l’intimité, les spectateurs ne s’intéressait pas autant à l’écran. Dés lors, un groupe de jeunes cinéastes tunisiens, lancent le défit de chercher à trouver un nouveau public. Pour nos salles de cinéma dégradées. Par des productions qui touchent à l’âme du spectateur et à ses problèmes les plus intimes, il réussissent à remplir un vide. Les chiffres officiels publiés par le Ministère de la Culture, affirment à cet égard que la fréquentation des salles de cinéma a sensiblement augmenté entre 2013 et 2015, et ce malgré la baisse remarquable du nombre de cinéma en Tunisie[1]. Avec seulement 22 salles de cinéma dont 13 situées au grand Tunis, le nombre de films tunisiens se multiplie chaque année ravivant la flamme d’un tunisien assoiffé aux bons films. Selon les chiffres officiels publiés par le ministère de la Culture tunisienne, la fréquentation des salles de cinéma a augmenté comparé à celle des dix dernières années avant 2011.
Qui eut cru que les entrées en salles de cinéma rebondiraient autant et aussi rapidement?
Un constat qui a provoqué notre ambition à entreprendre la question de l’effervescence dans la production cinématographique et le nombre de film qui se multiplie en Tunisie ces dernières années.
L’export des films Tunisiens vit un essor remarquable. Une jeune génération de producteurs et de cinéastes qualifiés est mise à l’avant dans les meilleurs festivals du monde. Des jeunes diplômés des écoles du cinéma font preuve de talents et réussissent à transformer le paysage cinématographique tunisien. Des distinctions et des nominations qui amplifient la notoriété artistique de nos jeunes réalisateurs, producteurs mais aussi nos techniciens. Une suite de reconnaissances internationales qui récompense nos jeunes cinéastes et réalisateurs et glorifie le cinéma. S’agit-il d’une renaissance cinématographique?
En s’intéressant à l’émergence dans la production cinématographique de cette nouvelle génération de cinéastes tunisiens, nous tenterons de dresser les caractères des manifestes du cinéma Tunisien quant à cette période fertile.
Le concept de manifeste que nous dressons, est conçu non seulement sous l’expérience dans son caractère subjectif, mais aussi dans la volonté et l’ambition de développer une nouvelle culture cinématographique, celle du « less is more »[2]. Une technique minimaliste empruntée à la communication, qui ravive la créativité et le talent de ces jeunes diplômés des écoles de cinémas. C’est également dans cette optique qu’il serait opportun de déterminer la « facilité » ou la « profondeur » de certains rendus cinématographiques qui ont accompagné le soulèvement populaire de 2011.
Ce mouvement de jeunes, nous renvoi vers cette idée du « less more » qui est fondée sur le retour à une certaine sobriété formelle plus expressive, plus originale même. Une volonté à tenter de développer des enjeux artistiques contemporains hors des moyens matériels.
Par « less is more », nous entendons cette idée de revenir sur l’essentiel, une idée de repenser le cinéma à travers une nouvelle lecture de la production cinématographique qui renvoi la qualité du rendu à l’essentiel de la fabrique d’une l’image cinématographique. Une mise en valeur de la pratique créatrice dans son retour à l’essentiel.
Le cinéma met à disposition des offres de sens, qui sont perçues et suivies d’un ensemble de réponses, sans que ces dernières prennent une forme d’expression langagière directe. Le mécanisme de transfert cinématographique comprend bien plus que la simple transmission de contenus. Il doit présenter une pensée de la vie. Suite à un ensemble de déclarations intentionnelles et non intentionnelles, ce moyen d’expression et de communication prend en considération le niveau individuel de la réception de masse comme niveau corrélatif.
Soumis à plusieurs tensions le cinéma est : d’un côté analysées d’un point de vue esthétique et d’un autre côté, dans son acception générale comme média de masse influençant la société.
L’art cinématographique, dans son histoire évolutive de la technique, à travers ses investissements exorbitants « nécessaires » à cette fabrique média, favorise cette haute valeur de tensions auxquelles le cinéma est soumis.
Ce mouvement de jeunes cinéastes décidé d’escorter le cours de l’histoire du cinéma tunisien, peut nous renvoyer au mouvement Danois « Dogme 95 », qui fut lancé en 1995 par plusieurs réalisateurs danois, dont Lars von Trier . Une réaction qui s’oppose aux superproductions anglo-saxonnes et à l’abus d’artifices et d’effets spéciaux qui aboutissait selon ses fondateurs à des rendus formatés, qu’ils jugent « lénifiants et impersonnels ». D’où, leurs décision de fonder un mouvement qui rend l’efficacité esthétique du film à l’essentielle compétence créatrice dans la fabrique cinématographique du film et non celle basée sur la technique « matérielle ». Une technique qui met à l’avant une expérience « purificatrice » à travers un changement de direction des professionnels vers une pratique libérée de la « machinerie cinématographique » accablant toute créativité dans un seul but : celui de forcer la vérité à sortir des personnages et du cadre de l’action[3]. L’essentiel est rendu à une caméra 35mm portée au poing ou à l’épaule et avec improvisation de plusieurs scènes.
Notre intervention vient soutenir l’idée selon laquelle le manifeste constitue le cœur de ce mouvement de jeunes cinéastes décidant de se battre pour leur passion. Suite à la révolution du décembre 2010-janvier 2011, ce mouvement de lutte a pu trouver sa continuité. Nous voyons fleurir une nouvelle pratique dans la fabrique cinématographique en Tunisie.
Notre propos dans ce qui suit, tourne autour de la manière à travers la quelle l’émergence de cette nouvelle génération a pu transformer le paysage cinématographique Tunisien ?
Toutefois, la question du contexte et condition des enjeux de la production cinématographique quant à ces huit dernières années, représenterait une raison valable pour entreprendre un tel projet. Nous y proposons une lecture de cette nouvelle vague de films marquant un tournant fort dans l’histoire du cinéma Tunisien qui souffre du même mal que d’autres secteurs, celui de l’absence d’une volonté politique de changer les choses.
Pour ce faire, nous prenons l’exemple d’un film tunisien produit en 2016, dont nous avons la chance de connaitre les coulisses de sa production et ce dans une tentative de développer cet axe de contexte et des conditions de production cinématographique en Tunisie.
« The last of Us » entre défi et succès :
Premier long métrage de fiction du jeune cinéaste Alaeddine Slim., le film tunisien « The Last of Us » franchit les frontières. Récompensé par le prestigieux « Lion du Futur » à la Mostra de Venise en 2016, le prix du meilleur film arabe au festival de Cordoue en 2017, Le prix du meilleur acteur aux African Movie Academy Awards (AMAA) en 2017, Représentant la Tunisie aux Oscars 2018, dans la catégorie du meilleur film en langue étrangère, The last of us” est décrit comme un film audacieux qui se situe parfaitement dans cet axe de recherche.
Ala Eddine slim, fait parti de ces jeunes réalisateurs ambitieux, décidés d’appliquer des principes qui échappent aux moyens. L’idée de vouloir faire son premier film sans subventions ni gros moyens n’a jamais quitté son esprit, nous l’affirme-t-il. Il se lance un challenge, il tente et réussi.
Après un devis estimatif de départ de 400 milles dinars, le film a fini par être produit avec un budget extrêmement réduit. 55 milles dinars était le budget de départ du film (préparation, tournage et montage). Une somme qui ne peut être suffisante pour un film tourné dans différentes régions du pays. 15 000 a été la somme allouée à la communication du film, et ce pour la réalisation des affiches et de la bandes d’annonce du film. Ils ont même réussi à organiser un concert avec le musicien du film, à l’institut français
Pour Alaeddine Slim « Ce modèle de production est spécifique à ce projet. L’essentiel est de trouver des solutions et des mécanismes pour chaque projet. Certes, il y a eu beaucoup de fatigue et de contraintes pendant la fabrication, mais l’investissement humain était hors du commun », [4]
Chawki Knis, le directeur de production du film, nous affirme que le scénario du film n’a pas eu de subvention d’aide à l’écriture, contrainte qui n’a pas freiné l’équipe à pousser plus d’efforts et poursuivre le projet. Une situation qui ne peut que confirmer l’état des lieux du cinéma tunisien.
Les budgets alloués aux subventions d’œuvres cinématographiques ne permettent pas l’émergence de la production. En 2016, seuls 20 films sur 97 candidatures ont été financés par la Commission d’encouragement à la production et ce avec un budget globale de 3.650.000 dinars[5]. En réponse à ce blocage Mme Ben Hlima, directrice du département cinéma au sein du ministère de la Culture rend à l’état du pays qui » n’est pas prêt à augmenter le budget vu l’état désastreux de l’économie »[6]. Ce budget a même été réduit de moitié par rapport à celui de 2011 qui était fructueuse et ce avec 52 films subventionnées avec une enveloppe de plus de 8.510.000 dinars[7], un budget figé depuis 2012. Des mécanismes de subventions constituant un frein pour l’évolution du cinéma tunisien. (Voir le tableau récapitulatif des budgets annuels alloués à la production cinématographique en Tunisie de 2009 à 2016 : Tableau 1: Table des tableaux)
La Commission d’encouragement à la production cinématographique a pour vocation de favoriser toute initiative artistique dans le milieu du cinéma par un mécanisme de subventions. Composée de sept membres, la commission en clair, propose trois types de d’aides, une aide à l’écriture, une aide à la production et une aide à la finition. Néanmoins, ces aides et subventions sont fixées à 30% du coût total pour les longs métrages, et à 70% du coût total pour les courts métrages. Toutefois, ces subventions du ministère ne profitent pas à toutes tous, d’où certains cinéastes et producteurs ou productrices tunisiens se disent « lésées » par ce système qui reste insuffisant face à l’effervescence du nombre de projets déposés devant le ministère.
Ismael[8], un des producteurs de ce film, fait partie de ces jeunes combattants lésés par le système. Le jeune réalisateur assure qu’il n’a pas pu bénéficier de la subvention pour ses films. Même pour son précédent film documentaire, « Babylon » – co-réalisé avec Alaeddine Slim et Youssef Chebbi- il n’a pas eu de subvention, et pourtant le film a été primé au festival international de cinéma de Marseille (FID Marseille) en 2011. Blacklisté sous l’ère de Ben Ali, suite à l »écriture de son livre critique vis-à-vis du ministère de la Culture intitulé « Le cinéma en Tunisie », ce jeune artiste avait une mauvaise réputation auprès des autorités. Se décrivant comme un “artiste visuel”, Ismail, fait partie de ces artistes qui “touchent-à tout et experts en rien”[9]. Il affirme que le film The Last of Us, a fini par être produit sans l’aide du ministère. Aboutissant à des prix les plus prestigieux du monde du cinéma, le producteur du film est fier de gagner le challenge « avec une équipe de bénévoles. »
Totalement réalisé en Tunisie avec des fonds personnels, une fois tourné, le film « The Last of Us » a pu bénéficier de subventions, et ce de la part d’autres pays étrangers, et ce que pour la post production, ainsi que pour la distribution tels plusieurs fonds d’aide à la postproduction, à savoir Hubert Bals Fund, Doha Film Institute, le Fonds Arabe pour les Arts et la Culture (AFAC) et SANAD.
Pour revenir à ce film, il est le produit d’une décision de rendre accessible une ambition esthétique en prise avec « un réel directe du film » qui découle d’un style réaliste, manifesté par un tournage entrepris avec des moyens très modestes, une caméra 5D et une équipe réduite. Le personnage principal du Film, Jawher Soudani, n’est même pas un acteur professionnel, d’ailleurs c’était sa première expérience dans le Cinéma.
Tourné en 28 jours, avec une équipe réduite à douze personnes et peu de moyens, le film est dénué de dialogue. Une stratégie minimaliste qui a rendu à l’essentiel une production sans aucune présence de surproduction cinématographique. Fabriquée sur des lieux du tournage de plusieurs scènes, la compétence artistique créatrice fut le seul moyen pour tourner le film. Une production qui illustre à ce titre le renouveau du cinéma tunisien, ainsi mené par un groupe de jeunes artistes comptant que sur leurs compétences créatrices pour « fabriquer » leur film.
Dans ce propos Nejib Ayed[10] interviewé lors des JCC, ajoute que « Les cinéastes n’attendent plus d’être aidés par des ministères pour entreprendre, c’est la leçon que nous avons tirée de ces deux dernières années »[11]
L’idée du film, quant à elle, vient de son créateur. Ala Eddine Slim, s’intéressait dans ses œuvres à des thèmes humains qui dépassent « les événements de tous les jours », dans ce film il a essayé de traiter la question de l’immigration, des frontières et de l’errance.
Dans « The Last of Us », ses ‘interrogations se poursuivent sur le sort de ces jeunes émigrants clandestins qui se perdent dans leurs voyage ou parcours vers l’Europe et dont le corps reste introuvable. Une idée, qui pour son réalisateur fait parler toute une génération dont il en fait partie.
Une création complexe dans une évolution linéaire des événements. Dépassant les frontières géographiques et verbales, Ala Eddine slim, nous présente une œuvre universelle traitant le phénomène des « traversées maritimes illégales vers la Rive Nord de la Méditerranée »[12]. Un traçage évolutif qui reporte un parcours fait par un migrant parti du sud Tunisien dont les données identitaires sont anonymes. Éloigné du regard social et humanitaire. Tout le film est construit autour d’un voyage qui nous renvoi vers une dimension spirituelle.
Les codes et les signes physiques du personnage principal, présentent un jeune subsaharien, qui traverse le désert pour rejoindre l’Afrique du nord, marqué par le choix du cadre naturel et les lieux des scènes. Dans un parcours clandestin vers l’Europe, suite à un braquage, ce personnage se trouve livré à lui-même en Tunisie. Ensuite, ce personnage principal (N), décide de traverser seul la mer vers un pays européen, et c’est là que commence alors la quête initiatique de (N).
Dans ce voyage et passage de ce qui le rattache à la civilisation et à la nature hostile, le personnage perd peu à peu ses attributs humains à travers la perte des symboles choisi par le réalisateur tel la boussole qui symbolise le premier élément à ne plus fonctionner. Ensuite, vient le deuxième et seul personnage (M), qui lui apprendra comment survivre.
L’idée de l’absence de la parole tout au long du film, vient de, la relation entreprise entre les éléments du film » qui est construite autour de distance et d’attentions discrètes : un personnage sauve l’autre d’un piège qu’il avait tendu, le second comprend lentement la manière de se fondre dans la forêt, jusqu’à la disparition ultime. Il s’agit d’une réelle conjugaison d’un ensemble de sensibilités artistiques, qui se nouent dans une réflexion « solitaire et onirique »[13]
Le film a été produit par quatre boites de production Tunisiennes : Exit Productions, Madbox Studios, Inside Productions et SVP. La fabrication de ce film s’inscrit parfaitement dans cet axe lié aux contextes et conditions de production ainsi qu’aux modes de financement.
Ce model de production et plus particulièrement l’expérience vécue par ces jeunes producteurs tunisiens, demeure assez particulière et peut nous renvoyer à d’autres jeunes cinéastes qui ont eux aussi tenté de suivre cette démarche de production tel le cas du film de Abdelhamid Bouchnak « Dachra », premier film d’horreur tunisien, qui a atteint les 100.000 entrées en seulement 17 jours pour ainsi couvrir tous les coûts de la production sans bénéficier du moindre subvention.
Libérée sur le fond, cette nouvelle génération de jeunes talents tunisiens, tente la mise en œuvre d’une nouvelle forme de films via de nouvelles pistes de productions telles les films muets, ou les films bâtis à partir de scènes de vie filmées à l’aide d’un téléphone portable. À travers leurs différences et leurs divers points de vue, ils constituent une nouvelle ligne révélatrice d’un avenir prometteur du cinéma tunisien. Nouveaux films, nouveaux regards
Au départ, le projet du film « The Last of Us », a été porté essentiellement par les trois boites de production : Exit Productions représenté par Alaeddine Slim, Ismaël, Ali Hassouna, Madbox Studios représenté par Chawki Knis et Inside Productions, représenté par Amine Messadi, Kamel Laaridhi et Moncef Taleb. Les principaux fondateurs de ces boites de production sont en fait les membres initiateurs du CIAC ; Collectif Indépendant d’Action pour le Cinéma. Ce collectif a été créé en avril 2009 de manière informelle suite au lancement de la « Commission Nationale pour la Réforme et le Développement du Cinéma et de l’Audiovisuel » à cette époque.
Le collectif croyait « qu’une réforme du secteur du cinéma ne peut se faire de manière exclusive, autoritaire et fermée »[14] . Le travail du Collectif a aboutit à « un rapport complémentaire à celui de la « commission officielle » pour essayer de faire en sorte que la construction de la réforme du secteur se fasse sur des bases saines, transparentes et justes.»[15]
De part son importance, on voit la diffusion figurer dans la première proposition quant à la réforme et le développement du secteur cinématographique. Il s’agit de la création d’une législation « art et essai »[16], elle concerne la création de salles de cinéma du même nom. Cette stratégie consiste à mettre en route une croyance que le cinéma est avant tout une expression artistique et culturelle qui doit être préservée de l’économie de marché. Il s’agit d’une démarche qui se base sur la « recommandation » des films selon des critères strictement cinématographiques et qu’une classification de ces salles doit se faire selon le degré de programmation de ces films « recommandés », qui doivent bénéficier d’une aide spécifique. Une proposition qui met à l’avant la valeur créatrice dans la fabrique du film. Une volonté à faciliter la création et à encourager les efforts de ces jeunes diplômés en plus d’en réguler le fonctionnement.
Selon ses créateurs, ce rapport de réforme propose un mécanisme et un outil qui vise assurer un meilleur fonctionnement du secteur du cinéma. Dans un objectif qui favorise la valeur artistique, il promeut sa valeur culturelle et industrielle dans l’évolution de cette dynamique économique cinématographique.
Le Collectif Indépendant d’Action pour le Cinéma a annoncé le 9 septembre 2011 sa restructuration en une association pour figurer officiellement et devient l’Association Tunisienne d’Action pour le Cinéma A.T.A.C.
L’association se lance dans une pratique de défense du Cinéma qui se veut selon les fondateurs dans une ligne libre, libératrice de la pensée et de l’imagination. Ce mouvement est lancé par des jeunes pour une considération d’un cinéma moderne dans ses formes et ses propos. Il s’agit d’un mouvement qui n’a pas de visée corporatiste. Pour ses fondateurs, cette association est une plateforme ouverte à tous les citoyens « ayant foi dans le cinéma » et désireux d’œuvrer à la réussite de ses réflexions et actions.
En 2012[17], le Centre National du Cinéma et de l’Image, (CNCI) créée par le ministère des affaires culturelles, a fait l’objet de nombreuses revendications. Ayant pour mission d’élaborer et de mettre en œuvre des politiques publiques en matière du cinéma et de promouvoir l’industrie cinématographique, et ce en finançant directement la création, la production et la diffusion d’œuvres cinématographiques et audio-visuelles ainsi que l’organisation des métiers liées à tous ces domaines. Vingt cinq projets soumis par des organismes de la société civile (associations) ont été financé pour un montant dépassant 400 milles dinars; pour un montant avoisinant les cinq millions de dinars, il a subventionné le tournage de 21 films dont 16 longs métrages. Pris dans un système reposant sur une faible mécanique d’aide et de soutien, nos jeunes producteurs et productrices se trouvent face à deux options : la première est de recourir à des fonds étrangers, la deuxième, est de faire leurs films avec leurs moyens personnels.
Avec cette jeune génération, nous avons tous les éléments pour monter en puissance. Mais les réformes essentielles, ne facilitent pas la tâche. La législation en vigueur, notamment le décret de 2011, par exemple, précise qu’un film doit obligatoirement porter une œuvre de format 35 mm. De ce fait, toutes les œuvres tournées en Tunisie en numérique sont considérées hors la loi! Outre les lois régissant le secteur cinématographique datant de 1960, et malgré les difficultés de production dû aux raisons structurelles qui bloquent, en moyenne dix films sont produits par ans, dont quatre longs-métrages et ce, malgré le budget alloué qui ne couvre même pas les frais des transferts techniques.
À ce propos, il n’est pas inutile de rappeler, que le secteur du cinéma est généralement centré sur la production alors que l’exploitation présente un dispositif important quant à la diffusion des œuvres cinématographiques au public et donc de financement.
Distribution et diffusion du film en Tunisie:
La distribution et la diffusion du film constituants les derniers maillons de la chaine de fabrique du film, intervenant en aval de la production, et ce, de la conception et de la réalisation du film, elle concerne essentiellement la promotion et la commercialisation des films. Après le tournage et la postproduction du film, vient la distribution qui consiste à réaliser et dupliquer en copies le film pour louer aux sales de cinémas. Parallèlement, il est question de promouvoir le film via différents moyens de communication tel : bande annonce, dossier de presse, affiches, interview, et ce dans le but de faire connaître le film au public pour arriver au mieux à améliorer la recette des entrées au film.
La salle de cinéma a toujours été le seul lieu naturel d’expression fondamental unissant le cinéma au citoyen dans une unique consommation collective du film. Source essentielle dans la hausse des recettes, l’argent des billetteries est le seul moyen de survie de la salle et son personnel – voire celui de la commercialisation et la distribution du film. Renversant à son tour, proportionnellement, une partie pour la production, elle servira de rémunérer son travail et celui de l’équipe du film, permettant ainsi, le financement de nouvelles œuvres cinématographiques. Prenant acte de l’importance de nombre d’entrées en salles, nous allons essayer dans ce qui suit de s’attarder sur les raisons ou causes des freins quant à la fréquentation des salles de cinéma en Tunisie.
Il est apparu intéressant à cet égard de situer le rapport film/public en confrontant le cinéma à sa fréquentation. Toutefois, espace de circulation du film, la salle de cinéma reste essentielle à l’identité de cet art.
Historiquement prouvé, et sans vouloir remonter très loin dans le temps, la Tunisie est un pays cinéphile. Jusqu’aux années quatre vingt dix, qui fut une décennie marquant l’âge d’or du cinéma tunisien, le cinéma était presque une troisième langue. Il n’y a qu’à voir le nombre de salles de cinéma, et la fréquentation massive des salles de cinéma à cette époque pour s’en convaincre. La Tunisie de cette époque avait une réelle culture collective du cinéma. Le public tunisien avait le goût et l’envie d’aller au cinéma. Avec des salles de cinéma bien entretenues par l’État, ce fut un plaisir de regarder un film au cinéma.
Néanmoins A partir des années 2000, tout ceci a commencé à s’anéantir pour ne présenter que nostalgie et regrets. L’état des salles de cinéma s’est dégradé pour n’attirer que ceux à la recherche de l’intimité. La culture du cinéma n’existe que chez une frange de la population. L’art et l’industrie cinématographique est en détresse. Le cinéma a perdu la possibilité de faire et de voir correctement des films. Quant au tunisien, il avait perdu la connaissance de la langue du cinéma. Une situation qui ne revient pas seulement au choix des sujets traités et au genre des films, il s’agissait essentiellement d’une question fondamentale, celle du financement.
Cependant, même si l’état du cinéma en est pour une partie du problème, d’autres facteurs en sont responsables aussi. Par ailleurs, l’un e des autres raisons qui ont pu limiter le nombre d’entrée en salle de cinéma, serait aussi l’emplacement des salles de cinéma en Tunisie. D’où, tenant compte de la mobilité des spectateurs, l’axe essentiel aujourd’hui est celui lié à la facilité d’accès aux salles de cinéma qui, pour leurs majorités restent encore au centre ville représentant ainsi encore un frein en termes de parkings.
Rajoutons à cela l’évolution des moyens de communication. Nous sommes passé des modes collectifs de diffusion à des modes personnels privés et ce à travers la création de nouveaux modes de visionnages à savoir l’ordinateur et autre support numériques. Toutefois, cette mutation numérique nécessite un changement de perspective et un accompagnement des industries cinématographiques, audiovisuelles et multimédia dans ce nouvel environnement. De ce fait, il est important à cet égard de signaler que les liens d’interdépendance entre la création cinématographique et son industrie sont pourtant consubstantiels à leur existence, l’une ne pouvant durablement exister sans l’autre.
Si avec la fermeture des salles de cinéma, la crise de la production s’est opérée, l’explosion du paysage audiovisuel tunisien (PAT) avec une quinzaine de chaînes privées n’a pas alimenté l’aide à la production cinématographique tunisien. Ce qui explique le ralentissement de mettre en œuvre des mécanismes politiques et juridiques pour encourager l’investissement dans le cinéma national.
Art et médium majeur de notre temps, le cinéma, en Tunisie comme ailleurs, continu à rassembler le plus de monde autour des différences de chacun. Véhiculant un certain nombre de valeurs, il occupe un rôle essentiel dans le partage de culture. D’où son rôle essentiel, voir fondamental, dans le partage de notre culture tunisienne dans sa spécificité. Toutefois, parce que les potentialités humaines font la richesse de ce pays, ils doivent être amenés à jouer les premiers rôles dans les manifestations artistiques de tout genre. Aujourd’hui, après des années de mobilités sociales, politiques, économiques et culturelles, nous voilà face à un moment charnière de notre histoire, une donne géopolitique nouvelle qui s’amorce dans un foyer de terrain fertile, riche et puissant historiquement. Pour ce faire, il est question de forger des liens de suite entre culture et arts en investissant et s’investissant dans ces dernières pour renvoyer vers un avenir qui peut rayonner parmi les cultures du monde.
Table des tableaux :
Tableau 1: Tableau récapitulatif des budgets annuels alloués à la production cinématographique en Tunisie de 2009 à 2016 :[18]
Année | Nombre de Films financés | Budget globale en DT |
2009 | 27 Films | 2 720 000 |
2010 | 33 Films | 5 355 000 |
2011 | 52 Films | 8 510 000 |
2012 | 23 Films | 3 710 000 |
2015 | 23 Films | 3 982 000 |
2016 | 20 Films | 3 650 000 |
Tableau 2: Nombre des salles de cinéma en Tunisie de 1970 à 2017[19]
Année | Nombre de salles de cinéma |
1970 | 120-150 |
2013 | 21 |
2014 | 23 |
2015 | 25 |
2017 | 21 |
Références Bibliographiques :
- Abderrazek Ben Jemâa, Contribution à une mise à niveau du cinéma tunisien, éd. Luxor Production, Ariana, 2008
- BELGHITI Matthieu, Produire un documentaire, Éditions Dixit, 2015.
- BERTIN-MAGHIT Jean Pierre et SELLIER Geneviere, » La fiction éclatée : études socio culturelles, les médias en actes », Harmattan, 2007.
- BERTIN-MAGHIT Jean Pierre et SELLIER Geneviere, » La fiction éclatée : études socio culturelles, les médias en actes », Harmattan, 2007.
- Chamkhi Sonia, Le cinéma tunisien à la lumière de la modernité : études critiques de films tunisiens (1996-2006), éd. Centre de publication universitaire, Tunis, 2009
- Chamkhi Sonia, Cinéma tunisien nouveau : parcours autres, éd. Sud Éditions, Tunis, 2003
- COLLARD Fabienne, GOETHALS Christophe, PITSEYS John et WUNDERLE, Marcus « La production cinématographique« , Dans Dossiers du CRISP 2016/1 (N° 86).
- GODARD Jean-Luc, « Histoire(s) du cinéma », Gallimard, (réédition) 2006
- JEMNI,Mahmoud « Quarante ans de cinéma tunisien« , s.n, 2006.
- JULLIER Laurent, WELKER Cécile, Les images de synthèse au cinéma, Armand Collin, 2017.
- KHELIL,Hédi « Le parcours et la trace: témoignages et documents sur le cinéma tunisien« , Edition MediaCom, 2002.
- LAURIER Philippe, « Producteur de cinéma, un métier« , Éd Chiron, 2005
- RANCIÈRE Jacques avec JDEY Adnen, « La méthode de la scène conversations « , Éditions Lignes, 17 mai 2018.
- RANCIERE Jacques, « La fable cinématographique », Points, 2016.
- CHATELET Claire, « Dogme 95 : un mouvement ambigu, entre idéalisme et pragmatisme, ironie et sérieux, engagement et opportunisme », 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze [En ligne], 48 | 2006, mis en ligne le 01 février 2009,. URL : http://journals.openedition.org/1895/341 ; DOI : 10.4000/1895.341, consulté le 07 avril 2019
- FANNY Laurent, « cinéma et subventions étatiques: comment ça marche? », publié le 30 Avril 2017 | , récupéré sur https://inkyfada.com/fr/2017/04/30/cinema-tunisien-subventions-chiffres/, consulté le 10/04/2019.
- Lilia Balaise, » Le cinéma tunisien, en vogue à Cannes mais encore à la peine dans son pay » article publié sur de Middle East Eye: le Samedi 19 mai 2018 – récupéré sur https://www.middleeasteye.net/fr/reportages/le-cinema-tunisien-en-vogue-cannes-mais-encore-la-peine-dans-son-pays, le 11/05/2019
[1] Voir tableau 2
[2] Ne garder que l’essentiel
[3] Lars von Trier, Thomas Vinterberg, Copenhague, lundi 13 mars 1995, Le Vœu de Chasteté, récupéré sur : « Dogme 95 : un mouvement ambigu, entre idéalisme et pragmatisme, ironie et sérieux », engagement et opportunisme » un article de Claire Chatelet, p. 46-73, https://journals.openedition.org/1895/341?fbclid=IwAR1E7E7WWuydlSJ1R3wYJhtqfb8pvsgQKZ5lXsEVz4r1h9q9i7KpuHH81-U#ftn28, consulté le 12/05/2019.
[4] Propos de Alaaeddine slim dans une entrevue réalisée le 10/04/2019.
[5] Selon une étude faite par FANNY LAURENT, Étudiante en Master 2 à Sciences Po Aix, Récupérée sur : https://inkyfada.com/fr/2017/04/30/cinema-tunisien-subventions-chiffres, consulté le 08/04/2019
[6] Ibid.
[8] *Ismaël est son nom d’artiste
[9] Propos d’Ismail, suite à une entrevue récupérée lors d’une enquête réalisée par FANNY LAURENT
Étudiante en Master 2 à Sciences Po Aix, pour son article intitulé » Cinéma et subventions étatiques, comment ça marche?
[10] Producteur tunisien et directeur exécutif des Journées cinématographiques de Carthage en 2017 et 2018
[11] Propos de Nejib Ayed dans un article du Lilia Balaise sur de Middle East Eye: publié le Samedi 19 mai 2018 – récupéré sur https://www.middleeasteye.net/fr/reportages/le-cinema-tunisien-en-vogue-cannes-mais-encore-la-peine-dans-son-pays, le 11/05/2019
[12] Ala Eddine Slim, dans la présentation du film.
[13] Ibid.
[14] Récupéré sur : http://rdc.spla.pro/fr/fiche.actualite.collectif-independant-d-action-pour-le-cinema.6901.html, consulté le 18/03/2019.
[15] Ibid.
[16] Selon une publication de la CIAC du 5 août 2009, récupérée sur http://ciac.over-blog.net/article-34594828.html
[17] En vertu du décret-loi n° 2011-86
[18] Tableau réalisé par moi même d’après des données récupérées d’près une enquête réalisée par FANNY LAURENT : Étudiante en Master 2 à Sciences Po Aix, pour son article intitulé » Cinéma et subventions étatiques, comment ça marche?
[19] Ibid