« Epargnez vos efforts, M. le ministre, vous ainsi que vos collègues de la Ligue Arabe. Vous ne pourrez jamais réussir là où Daech et Israël ont échoué. La Syrie a gagné« .
Lors d’une séance de questions au gouvernement, à l’ARP, la députée Mbarka Brahmi, veuve du député assassiné, s’est adressée, dans des termes particulièrement durs mais justifiés, au ministre des Affaires Etrangères, M. Khemais Jhinaoui pour l’état de soumission dans lequel il maintient la diplomatie tunisienne.
Depuis la révolution, au lieu de connaître un bond en avant du fait de la légitimité nouvelle d’une Tunisie entrée dans le cercle des nations démocratiques, la diplomatie tunisienne, au lieu de développer les rapports économiques avec nos partenaires habituels et d’aller à la recherche de nouveaux marchés, s’est rangée derrière les diktats de monarchies pétrolières moyenâgeuses et d’intelligentsias occidentales hégémoniques avec pour unique résultat des échecs dans tous les domaines, la ruine du pays et la perte totale des dividendes de la révolution.
C’est dans ce contexte de soumission à des diktats qui jettent la Tunisie au ban de la dignité internationale que Madame Brahmi s’est élevée contre « ce ministère devenu un fardeau pour la communauté nationale […] car c’est désormais le ministre saoudien des Affaires étrangères qui définit notre politique étrangère alors que le ministre tunisien ne fait qu’avaliser, sinon se dissimuler. La Tunisie ne mérite pas cela » .
Elle accuse Jhinaoui d’avoir violé la souveraineté de la Tunisie en l’intégrant dans l’alliance israélo-saoudienne, « tout comme vos prédécesseurs [de la Troïka] nous ont intégré dans l’alliance turco-qatarie ».
Mais il semble que Mme Brahmi vise également le président de la République qui est constitutionnellement impliqué dans la diplomatie puisqu’elle lance à l’adresse de Jinhaoui: « vous ne pouvez ni confirmer ni démentir mes propos » car selon elle, le Département des Affaires Etrangères n’aurait « aucune information sur ces engagements ».
Elle évoque également un autre viol de la souveraineté tunisienne: le classement du Hezbollah comme « organisation terroriste par le ministre de l’Intérieur Saoudien, sur notre sol, alors que notre ministère des Affaires Étrangères faisait « oui » de la tête ». On se souvient du scandale que cette affaire avait soulevé, scandale étouffé par le président Essebsi qui a déclaré que « les ministres de l’Intérieur et des Affaires Etrangères ne reflètent pas la position officielle de la Tunisie », ajoutant que « la Tunisie considère officiellement le Hezbollah en tant que « parti de résistance » », augmentant ainsi l’inconsistance et la désorganisation de la politique étrangère tunisienne.
Depuis l’Indépendance, jamais la diplomatie tunisienne n’était tombée si bas: « Vous n’avez jamais cessé de vous déclarer disciples de Bourguiba. Or, quand Israël avait bombardé le quartier général de l’OLP à Hammam Chatt, Bourguiba avait menacé les USA d’une rupture des relations diplomatiques si jamais ils opposent leur veto à la résolution des Nations Unies condamnant l’attaque israélienne et il avait obtenu gain de cause ». Madame Brahmi a comparé la réaction de Bourguiba à l’absence totale de réaction du pouvoir tunisien quand le Mossad a assassiné un citoyen tunisien devant sa maison, le 15 décembre 2016.
Évoquant la chute d’un missile yéménite sur l’Arabie Saoudite, Madame Brahmi a déclaré : « Votre participation à la réunion des ministres arabes des Affaires Étrangères au Caire est scandaleuse. Vous vous êtes réunis pour condamner un missile yéménite tombé en Arabie Saoudite sans faire de victime, alors que vous avez toujours gardé le silence sur le génocide que subit le Yémen ».
Mme Brahmi a ajouté, concernant la condamnation du Hezbollah: « Vous et vos alliés de la Ligue Arabe avez très vite pointé du doigt le Hezbollah, le seul véritable résistant contre les forces de l’occupation israélienne alors que vous n’avez pris aucune position contre les organisations terroristes qui ont saccagé le monde arabe […] Je suis certaine que la classification du Hezbollah en tant qu’organisation terroriste a été préparée à l’avance, et que la ligue arabe s’est réunie juste pour cela, afin de protéger Israël contre son unique véritable ennemi dans la région […] Epargnez vos efforts, M. le ministre, vous ainsi que vos collègues de la Ligue Arabe. Vous ne pourrez jamais réussir là où Daech et Israël ont échoué. La Syrie a gagné ».
Enchaînant sur les questions libyenne et syrienne, elle a déclaré : « Votre gestion de la crise libyenne est aussi un échec majeur […] Vous n’avez pas pu rétablir les relations diplomatiques avec la Syrie parce que le régime saoudien, les USA et Israël vous l’interdisent […] L’un de mes collègues vous a posé une question: « Quand allez-vous rétablir les relations diplomatiques avec la Syrie ? » Laissez moi répondre à votre place: c’est quand l’Arabie Saoudite vous en donnera le feu vert ».
Quant à la nouvelle « alliance militaire islamique contre le terrorisme », Madame Brahmi la qualifie de « nouveau Pacte de Bagdad avec Benyamin Netanyahou comme chef et Gadi Eizenkot (ministre israélien de la Guerre), pour Capitaine […] Le peuple tunisien, qui a donné des martyrs dans tous les combats arabes, n’accepte pas de faire partie de cette alliance américano-sioniste, l’alliance des vaincus (contre la Syrie). Nous sommes le peuple du 17 décembre. Le peuple qui a scandé la libération de la Palestine et qui a été déçu par la diplomatie de son pays ».
Après avoir évoqué les choix d’avenir à faire par la diplomatie tunisienne, Madame Brahmi a interpelé le ministre : « Arrêtez de vous soumettre à des régimes caducs. Le coût de la résistance n’est pas plus cher que le coût de l’humiliation. »