« La Révolution tunisienne est advenue sous le signe de la lutte contre la paupérisation et pour la dignité. Elle fut tout autant un soulèvement contre la corruption ; à telle enseigne qu’on a pu parler de révolution éthique. Certains vont jusqu’à expliquer la réussite post-révolutionnaire de l’islam politique par l’aspiration des Tunisiens à la moralisation de la vie publique. La lutte anti-corruption ne sera-t-elle pas d’ailleurs inscrite dans la constitution de 2014.
Beaucoup d’eau est passé sous les ponts depuis : des structures ad hoc ont été créées, de la Commission Abdelfattah Omar à l’Instance Chawki Tabib… La litanie de la lutte implacable contre la Corruption a été répétée ad nauseam par les gouvernements successifs… Au point que le bon peuple a fini par haïr le leitmotiv grandiloquent et répétitif du combat anti-corruption autant que la corruption elle-même. Il suffit pour s’en convaincre de parcourir les pages du net, les colonnes des journaux, de suivre ce qui se fait et se dit au cinéma, au théâtre ou dans les textes de jeunes chanteurs pour se rendre compte à quel point la croisade illusoire contre la corruption est devenue un sujet d’amusement. Cette rigolade nationale cache mal une grande amertume et un grand dépit à l’endroit des pouvoirs et de leur incapacité à faire bouger les choses en matière de lutte contre le fléau. Pire : ministres, parlementaires et grands commis, leaders de partis, associatifs et syndicalistes, tous ceux qui ont un quelconque lien avec le monde politique sont suspectés d’avoir trempé peu ou prou dans les différentes affaires.
Cet échec retentissant et toujours recommencé de la guerre contre la corruption contraste avec les réussites sur le front antiterroriste. Mais les gens savent que tant que la corruption continuera à gangréner le pays rien n’est définitivement acquis. Rien n’est gagné tant que ce mal continuera à empoisonner le quotidien des Tunisiens, à banaliser le commerce de contrebande, à polluer les services publics, à court-circuiter les administrations douanières, fiscales et de sécurité.
Cet échec a un autre coût : la propagation d’un populisme qui fait feu de tout bois et ne cesse d’alimenter et de se nourrir des illusions dangereuses comme celle de nos richesses pétrolières cachées et dilapidées par les corrompus et les corrupteurs.
C’est dans ce contexte de morosité généralisé et de scepticisme rampant quant aux valeurs véhiculées par la Révolution tunisienne, que s’inscrit une initiative inattendue et bienvenue : la campagne contre des figures emblématiques de la corruption.
Inattendue : parce qu’aucun Tunisien ne croyait Youssef Chahed capable de déclarer la guerre aux barons de la contrebande et de l’argent sale. Certes beaucoup semblent pour l’heure épargnés. Et c’est précisément là que l’enjeu est fatidique : la société civile et les personnalités nationales doivent peser de tout leur poids pour que le combat qui a été déclenché soit mené à bon terme. Le moment est crucial car le chef du gouvernement s’attaque à la corruption dont les multiples tentacules s’étendent aux rouages de l’État lui-même, y compris l’appareil de sécurité.
On peut ne pas être d’accord sur l’appréciation du parcours et des circonstances qui ont amené Chahed à assumer la responsabilité qu’il a à la tête du gouvernement, mais force est de constater que l’homme a relevé le défi et sans doute mis sa propre vie en jeu. Car il ne faut pas perdre de vue la puissance des réseaux mafieux et leur capacité à réagir. Ils ont des relais à l’intérieur comme à l’extérieur du pouvoir, au cœur de l’État comme à l’étranger. Les voix extérieures, qui menacent de mettre le pays à feu et à sang, en disent long sur les accointances de certains qui ont amassé des fortunes en spéculant sur l’amour de la patrie.
La bataille se déroule sur plusieurs fronts et avec toutes sortes d’armes : à commencer par les renseignements, les dollars et les pétrodollars. Le rouleau compresseur de la désinformation sera également mobilisé… On peut comprendre les scrupules de tous ceux qui cherchent à être mieux éclairés par crainte d’une désillusion supplémentaire, mais il nous semble impératif aujourd’hui d’être de toutes nos forces du côté du chef du gouvernement dans sa détermination à mener la bataille jusqu’au bout comme il l’a déclaré lui-même. Tout en espérant que la campagne ne s’arrête pas aux seuils intouchables des gens nés « sous une bonne étoile » ».
Signé :
Souhayr Belhassen
Yadh Ben Achour
Latifa Lakhdar
Moheddine Charbib
Habib Kazdaghli
Feryel Lakhdar
Olfa Terras Rambourg
Abdelfattah Mourou
Sahbi Ben Frej
Soukeina Abdessamad
Hachmi Ben Frej
Khalil Ben Chérif
Rafaa Ben Achour
Maher Ben Ghachem
Raja Farhat
Ridha Channoufi
Mohamed Khénissi
Hamadi Rédissi
Sana Ben Achour
Fadhel Moussa
Rabâa Abdelkéfi
Nabil Azouz
Ali Mezgheni
Zyad El Héni
Adel Haj Salem
Mohamed Chérif Ferjani
Zayneb Farhat
Kmar Ben Dana
Mériem Bourguiba Laouiti
Mohamed Ajina
Raja Ben Slama
Fathi ben Slama
Faouzia Charfi
Jinan Limam
Souheil Alouini
Chafik Ben Romdhane
Rachid Kechana
Mourad Allal
Khmayes Khayati
Fathi Ben Haj Yahia
Mohamed Rachdi
Mohamed Ezzaouia
Mohamed Chaker Khodja
Moncef Thraya
Abderrazak Chraïet
Saadoun Zmerli
Samir Mahdaoui
Anouar Moalla
Mohamed Ali Halouani
Khadija Chérif
Abdelaziz Belkhodja
(Intellectuels ou politiciens ou autres activistes de la société civile qui veulent signer le document, merci de manifester votre volonté)