La perte douloureuse récente de mon unique frère m’oblige…

Dr Marouane Bouloudhnine

La médecine, de tout temps, a été perçue comme un art noble, un engagement dédié à la préservation de la vie, à la guérison, et au soulagement de la souffrance. Le médecin, à travers son Serment, était voué à agir dans l’intérêt du patient, guidé par des valeurs d’humanisme, d’empathie et de respect. Cependant, au fil des années, certains médecins ont détourné ce noble sens de la médecine en le soumettant aux logiques économiques, déshumanisant ainsi cette relation si précieuse et singulière.

J’ai choisi ce métier, le plus beau du monde, car j’ai toujours été fasciné par cette merveilleuse machine qu’est le corps humain et par l’opportunité de prendre soin des autres, de leur venir en aide. Durant notre longue formation (8 à 15 ans), le malade était au centre de nos préoccupations, sans aucune autre considération que de lui redonner son bien-être. Nous passions notre temps sans compter les heures, guettant le plaisir procuré par le sourire d’un patient, sa satisfaction lorsqu’il retrouve l’usage de ses membres, tout en attendant la critique acerbe de nos mentors, qui nous poussaient à toujours rechercher la perfection dans nos soins.

Lors de leur inscription obligatoire à l’Ordre, les médecins s’engagent sous serment et par écrit à respecter le code de déontologie médicale. Ce code est directement inspiré du Serment d’Hippocrate. Il a servi, au fil des siècles, de guide au médecin de référence sur ce qu’il pouvait faire, ou ne pas faire, et sur ce qu’il ne devait pas faire dans l’exercice de sa profession. Notre engagement, c’est le respect du Serment d’Hippocrate : tout le Serment, rien que le Serment. Il représente le code éthique du médecin : le labeur, le don de soi, la discrétion (il ne doit pas jouer au voyeur), l’humanisme, la bientraitance et l’humilité.

À mesure que nous grandissions, nous devenions les dépositaires de valeurs à transmettre à notre tour. C’est ainsi que les familles nous confient leurs malades en toute confiance. Cette préservation du dépôt se retrouve dans le Saint Coran : Sourate 23 Les Croyants, verset 8 : « Ceux qui gardent fidèlement les dépôts qu’on leur confie et veillent à honorer leurs engagements. » Cet héritage nous oblige.

Ethique et morale ?

L’éthique, du grec “ethos”, c’est-à-dire le comportement, les habitudes, tend à séparer ce qui est bon de ce qui est mauvais et à faire ce qui est juste. L’éthique est une valeur individuelle ; c’est un rapport de soi à soi-même. La morale, quant à elle, est un rapport à l’autre, dans le cadre de règles communément acceptées qui s’appliquent à tous. La morale, c’est faire ce qui est bien. La déontologie est une forme de morale qui s’applique à un champ professionnel bien défini et renvoie aux obligations à respecter dans l’exercice de son travail. Si un médecin contrevient au code de déontologie, il s’expose à des sanctions de la part de l’Ordre.

Dégradation des valeurs morales et de l’éthique en médecine

La dégradation des valeurs morales et de l’éthique en médecine est un phénomène préoccupant qui touche de plus en plus de professionnels de santé. Historiquement, la médecine était guidée par des principes parmi les plus nobles. Aujourd’hui, tout en regrettant certaines dérives, il convient de rendre hommage aux innombrables médecins qui continuent d’exercer leur art de la meilleure manière possible. Cependant, dans un contexte de pression économique croissante, certaines pratiques médicales ont progressivement dévié de ces principes fondamentaux. Cette évolution menace non seulement la confiance entre soignants et patients, mais altère également la dignité même de la profession médicale.

Dénoncer les erreurs d’une profession aussi noble revient à lui redonner son éclat. Le Serment, dit « sacré », impose des lignes rouges, et les franchir revient à désacraliser le temple.

Ces « médecins-boutiquiers », souvent influencés par des impératifs financiers, ont permis l’entrée des « marchands du temple » dans un secteur qui était censé être sacré, dénaturant ainsi la mission première du médecin.

Cette marchandisation de la médecine n’est pas seulement l’œuvre de l’industrie de la santé, mais aussi de certains médecins — j’ose croire minoritaires — qui, au lieu de s’engager pleinement dans leur vocation, ont accepté des pratiques favorisant la rentabilité au détriment des patients. La médecine est alors devenue une industrie où le malade n’est plus perçu comme une personne à soigner (un patient), mais comme un consommateur de services médicaux (un client).

Ce dialogue médecin-malade, censé être si singulier, est devenu parfois de plus en plus impersonnel.

Le détournement de la médecine par ces « marchands du temple » est particulièrement visible dans le secteur libéral, où la multiplication des actes médicaux inutiles mais rentables, l’optimisation des prescriptions médicamenteuses, et l’établissement de relations de bénéfice financier entre praticiens contribuent à cette dérive. Ces dérives nuisent non seulement à la qualité des soins, mais également à la dignité de la profession.

Revenir aux valeurs fondamentales de la médecine

En réponse à ce phénomène, il est impératif de revenir aux valeurs fondamentales de la médecine. Les médecins doivent renouer avec leur vocation originelle : prendre soin de l’autre, avec respect et dévouement. Ils doivent résister aux pressions économiques qui les poussent à compromettre la qualité des soins et l’humanisme nécessaire. La médecine doit rester un service sacré, centré sur le patient, dont l’objectif est de restaurer la santé et d’améliorer la qualité de vie.

Les médecins, en tant que dépositaires de cette mission, doivent se rappeler constamment leur serment et leur engagement éthique : « Primum non nocere » (D’abord, ne pas nuire).

Les médecins sont là pour guérir parfois, soulager souvent, comprendre toujours. Mais ne demandons pas au médecin de faire l’impossible. À cet impossible, nul n’est tenu. Juste faire de notre mieux devrait être notre leitmotiv permanent.

La lutte contre la marchandisation de la médecine commence par une prise de conscience collective. Le Conseil de l’Ordre doit davantage se saisir spontanément des errances de certains médecins car ils les connaissent, ils ne sont pas si nombreux!

Les médecins déviants doivent aussi se réapproprier leur rôle de soignants et ne pas se laisser guider par des intérêts financiers, tout en cherchant à restaurer la sacralité de la médecine.

En effet, la médecine n’est pas une profession comme les autres, mais un sacerdoce et un Art à part entière, que chacun exerce en fonction de ses moyens, guidé par l’ornière du Serment d’Hippocrate.

Article du 16 décembre 2024

Dr Marouane Bouloudhnine

Chirurgien orthopédiste
Ancien Chef de Clinique de Montpellier Dubai, Uae Infodrmarouane@gmail.com

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