Le 10 mars 241 av. J.C., alors qu’Hamilcar Barca maîtrise la zone carthaginoise de Sicile, une défaite navale va entraîner des conséquences terribles pour Carthage. 

Plongez dans l’histoire fascinante de Carthage et de Rome au IIIe siècle av. J.-C. Découvrez comment Hamilcar Barca, génie militaire et réformateur, a tenté de sauver la Sicile malgré l’opposition des oligarques. Un récit épique de stratégie, de trahison et de résistance, prélude à l’inévitable reprise des hostilités.

Carte de la Sicile, théâtre de la Première Guerre punique. À la pointe gauche, les Îles Ægates.

Pour une meilleure compréhension des faits, il faut revenir six ans en arrière. En 247 av. J.-C., la guerre en est à sa dix-septième année. L’économie carthaginoise en souffre, et les oligarques de Carthage, ces sénateurs immensément riches, ne veulent plus de ce conflit qui a engendré une désorganisation du commerce et un énorme manque à gagner.

Après plusieurs grandes batailles terrestres et navales, les oligarques au pouvoir, membres du parti conservateur, semblent accepter la défaite annoncée et la perte de la Sicile. Mais au Sénat, Hamilcar Barca, un jeune leader du parti réformateur, s’indigne de ce qu’il considère comme une trahison.

Hamilcar Barca

Pour Hamilcar, la Sicile est un élément essentiel du système commercial carthaginois. Il considère que si l’effort de guerre nécessaire n’est pas fourni, Carthage ira à sa perte.

Les sénateurs regardent d’un mauvais œil ce quadragénaire (il a 44 ans) qui réussit dans sa vie privée et qui commence à avoir une certaine influence politique. Hamilcar Barca est un « moderne », féru de culture grecque, patriote. Il exige des réformes importantes qui limiteraient de façon drastique le pouvoir des oligarques, d’où leur agacement.

Hamilcar Barca a également un don : c’est un orateur exceptionnel, et son parti ne cesse de gagner en puissance. Il se pose en défenseur de la puissance et de la gloire de Carthage, et cette position est politiquement très dangereuse pour les conservateurs, qui défendent la nature parlementaire du régime carthaginois et exècrent la popularité des politiciens. Or, les exigences des réformateurs sont populaires…
Ils décident alors de nommer Hamilcar commandant en chef des forces carthaginoises de Sicile. Leur calcul est judicieux : non seulement ils éloignent de Carthage cet agitateur invétéré, mais en plus – le sort des armées carthaginoises étant pratiquement scellé –, ils pensent que la honte de la défaite ne s’abattra plus sur eux, mais sur Hamilcar et sa formation politique.

Hamilcar Barca sait que la tâche est difficile. La situation militaire est désespérée : l’armée carthaginoise est acculée dans la pointe ouest de l’île et ne parvient plus à enrayer la progression romaine. Hamilcar la reprend en main, lui enseigne de nouvelles techniques de combat et lui redonne courage.
Malgré des moyens militaires limités, à cause du manque de volonté politique des conservateurs au pouvoir à Carthage, Hamilcar va réussir à inverser le cours des événements.

Il installe dans les lieux les plus stratégiques de l’ouest de la Sicile des bases imprenables, à partir desquelles il planifie, sur terre, des opérations de commando, et sur mer, des raids contre le littoral italien. Rome, désarçonnée par ces attaques surprises sur son territoire, ne sait comment y remédier. Peu à peu, Hamilcar reprend aux Romains toute la partie occidentale de la Sicile. Il devient, non seulement à Carthage, mais aussi à Rome, une légende vivante. Sa popularité ne fait qu’augmenter, au grand dam des conservateurs, qui espéraient le contraire.

Pour se défendre et reprendre l’initiative, Rome récupère une quinquérème carthaginoise échouée, construit un navire sur le même modèle, mais lui ajoute le « corbeau » – une passerelle qui se rabat sur le navire ennemi pour faire passer des soldats et transformer ainsi le combat naval, où Carthage est imbattable, en un combat de fantassins.

 

Proue d’une quinquérème avec le « corbeau »

Puis Rome institue un emprunt de guerre forcé. C’est ainsi qu’elle arme 200 quinquérèmes et les envoie sur les côtes siciliennes, sous le commandement du consul Lutatius Catulus.
Après un premier revers en – 242, Catulus attaque, le 10 mars – 241, une flotte carthaginoise de transport de renforts et d’approvisionnement.
Disposés en file et alourdis par leur chargement, les navires carthaginois tombent dans le piège de Catulus, qui range ses vaisseaux allégés en une seule ligne. Carthage perd 50 navires, 70 autres sont capturés, et 10 000 marins sont faits prisonniers.

Bien qu’important, le revers n’est pas catastrophique : Carthage s’est relevée d’échecs beaucoup plus graves. Mais les conservateurs au pouvoir veulent la paix. Les succès militaires d’Hamilcar, qui enflamment le peuple de Carthage, sont-ils pour quelque chose dans le choix des oligarques ? Toujours est-il qu’ils avancent que les caisses sont vides, l’économie ruinée, et que Carthage n’a plus les moyens de poursuivre le conflit. Ils ne considèrent plus la Sicile comme un enjeu fondamental pour l’avenir de Carthage, contrairement aux réformateurs qui, sous l’impulsion d’Hamilcar et de ses partisans, veulent garder l’île, persuadés que l’avenir de Carthage se joue contre Rome.
Les partisans de la paix l’emportent, et Hamilcar reçoit l’ordre d’engager des pourparlers avec Catulus. Il s’acquitte de son devoir, refuse de désarmer ses hommes et assure leur retour en bon ordre. Enfin, il démissionne de sa charge de commandant en chef pour marquer son refus de la politique défaitiste de Carthage.

Avec le traité de – 241, Carthage perd la Sicile et les îles environnantes. Tout son système de politique commerciale est détruit ; la « mer carthaginoise » devient une mer ouverte à toutes les nations, et principalement au vainqueur.

Pour Carthage, ce n’est qu’une épreuve de plus, car elle a déjà subi les Phocéens (Marseillais), les Étrusques et les Grecs de Sicile. L’empire qui lui reste – l’Afrique, le sud de l’Espagne, les portes de l’océan Atlantique – est assez riche pour lui assurer la puissance, mais il lui faut désormais compter avec l’impérialisme romain.

Rome ratifie la paix. Elle sait qu’Hamilcar a gardé l’armée intacte et que la conquête de l’Afrique n’est pas encore possible. Mais elle y songe, et Carthage le sait. En fait, la paix de – 241 n’est qu’une trêve. Il faut que Carthage se prépare à l’inévitable reprise des hostilités.

©apollonia

Disposés en file et alourdis par leur chargement, les navires carthaginois tombent dans le piège de Catulus, qui range ses vaisseaux allégés en une seule ligne. Carthage perd 50 navires, 70 autres sont capturés et 10 000 marins sont faits prisonniers.


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