Révolution tunisienne 9e partie
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9 L’armée se déploie
Dimanche 9 janvier, tous les responsables des forces de l’ordre sont réunis en cellule de crise, certaines fausses interprétations des faits vont précipiter la chute du régime
Dimanche 9 janvier, le bilan des incidents de Thala est dressé et remis à Ben Ali. Ses conseillers découvrent un Président complètement « à côté de la plaque », il aurait même déclaré qu’il a déjà « raté un voyage » à cause de la situation et qu’il n’aimerait pas « en rater un autre ». Comme tout le monde le sait, il ne le ratera pas.
Une réunion extraordinaire se tient à 11h au ministère de l’Intérieur. Elle rassemble le ministre, Rafik Haj Kacem, Adel Tiouiri: directeur général de la Sûreté; Lotfi Zouaoui: directeur de la Sûreté publique; Larbi El Akremi: directeur de la salle d’opérations; le Colonel-Major Jalal Boudriga: directeur des Unités d’Intervention; Rachid Ben Abid: directeur des Services spécialisés; Chedli Essahli: directeur des Services techniques ; Tarek Bennour: directeur de l’Inspection.
Le Général Amir El Abed : directeur général de la Garde nationale; Le Général Charfeddine Zitouni : directeur de l’inspection de la Garde nationale. Fraj El Ouati Directeur de la Protection civile, Ridha Grira, ministre de la Défense, des cadres et généraux de la Défense:
– Le Général Rachid Ammar de l’Armée de Terre
– Le Général Ahmed Choubir de la Sûreté militaire et son second:
– Le Colonel Faouzi El Aloui, responsable de la salle d’opérations de l’Armée de Terre.
Mohamed Ghariani, secrétaire général du RCD, le Général Ali Sariati, etc. Rafik Haj Kacem la préside. Notons que c’est la première fois que Ridha Grira assiste à ce genre de réunion sécuritaire extraordinaire.
Ce type de réunion est généralement introduit par le secrétaire général du RCD, le « tajamaâ », qui est la structure de renseignement la plus importante et la plus vaste du pays. Le RCD compte deux millions de membres éparpillés sur tout le territoire et dans tous les secteurs d’activités. Le RCD n’était pas un État dans l’État mais l’État tout court. Présent dans toutes les structures administratives, ministères, Gouvernorats, Délégations, Municipalités, Imadas (secteur), organisations nationales, ambassades, consulats, etc. Il possédait aussi ses structures propres, présentes dans tout le pays et même à l’étranger (ex. : le 36 rue Botzaris à Paris). Très actif dans tous les domaines de la société, excellent outil de pouvoir et de propagande, il abusait cependant de sa position dominante et usait de milices dédiées au renseignement et au passage à tabac.
Mohamed Ghariani avoue qu’il a du mal à collecter ses informations : beaucoup de ses sbires sont en fuite ou ont jeté l’éponge et les bâtiments du RCD dans la région du centre sont pour la plupart détruits.
Ensuite est abordée la question des très nombreuses destructions de postes de police dans le centre du pays. D’après le Général des Renseignements militaires, Ahmed Chabir, « cela ne choque plus, tant le nombre de ces incidents est important et quotidien ».
Rafik Haj Kacem reçoit un appel de Ben Ali, il demande au Général Ali Sariati de présider la réunion le temps qu’il revienne.
C’est au tour du directeur de la Protection civile de dresser la liste des victimes : il mentionne plusieurs blessés par balle et parle des 7 civils tués à Thala et Kasserine. Devant ce bilan, tout le monde est choqué et se tourne, en attente d’explications, vers le Colonel-Major Jalal Boudriga, directeur général des Unités d’Intervention. Celui-ci déclare qu’il n’a plus d’armes non létales (gaz lacrymogène et projectiles en caoutchouc) et ajoute que ses agents ont eu recours à des cartouches de gaz périmées. Sariati s’interpose, hausse le ton et déclare :
– J’ai des stocks de gaz et de balles caoutchoutées chez mes hommes à Carthage, je les mets à votre disposition immédiatement, mais où sont les canons à eau des BOP ? !
– Ils sont en panne depuis des années. Nous ne nous sommes jamais préparés à cette situation.
Sariati, ancien Commandant de l’Académie militaire de l’Armée de Terre, se souvient qu’il y avait des canons à eau à Foundouk Jadid (Siège de l’Académie militaire). Il se tourne vers Ammar :
– Et les canons à eau de l’Académie militaire, sont-ils en état de marche ?
– Oui, répond le Général Ammar.
– Alors ramène-les vite et mets-les à la disposition de la police.
Pour parer à la rupture des stocks de gaz lacrymogène, le ministre de l’Intérieur demande de l’aide à Kadhafi qui envoie immédiatement 1.500 cartouches pour aider son ami Ben Ali. D’autre part, le gouvernement en commande 4 tonnes à la France, c’est-à-dire plus de 10.000 cartouches ! (Le jour de la livraison, le matin du 14 janvier 2011, la marchandise est retardée par des contrôles douaniers de routine à Roissy.
L’aide aux familles bloquée par Ridha Grira
Lorsqu’a été évoquée la nécessité d’assister les familles des victimes, Sariati a déclaré que les canaux réguliers de transfert d’argent étant rompus, il fallait absolument trouver un autre moyen de leur faire parvenir de l’argent. Aider les familles dans ces moments difficiles pouvait réduire la tension lors des funérailles et limiter les débordement. Mais Ridha Grira ne saisit pas l’importance du geste, il refusera après la réunion de valider la proposition d’Ali Sariati.
L’armée remplace la police sur le terrain
Après le retour de Rafik Haj Kacem à la salle de réunion, il est décidé à l’unanimité de déployer l’armée de terre et de retirer la police.
Il faut enfin noter qu’avant que les officiers n’abordent les questions purement sécuritaires, Ali Sariati a invité les civils, Ridha Grira, Rafik Haj Kacem et Mohamed Ghariani, à se retirer de la réunion. Pour Ridha Grira, cette démarche semble louche. Ministre de la Défense depuis moins d’un an, il ignore qu’il est inutile d’assister à la seconde partie de ces réunions exclusivement techniques. S’est-il senti froissé par l’autorité de Sariati et par ses prises de position ? Par le fait que Sariati ose devant lui, ministre de la Défense, apostropher les généraux ? Peut-être. Et en plus, il lui demande de quitter la réunion ! En un mot, Ridha Grira constate l’autorité naturelle de Sariati et ses compétences. Il le dira dans son PV : « Ali Sariati donnait des directives à mes hommes. » Il va même jusqu’à imaginer qu’Ali Sariati lui a demandé de quitter la réunion pour préparer un coup d’État… Anxieux, il se rend à son bureau et attend avec impatience la fin de la réunion. Lorsque le Général Ammar, comme le stipule le protocole, rejoint son ministre pour entériner les décisions prises durant la réunion, Ridha Grira le somme :
– « Les ordres, vous les prenez de chez moi uniquement ! Et de chez personne d’autre ! ». Il faut noter que les rumeurs ayant fait du Général Ammar la star du moment ont été mal perçues par son ministre.
Le général s’étonne et répond :
– Oui, Monsieur le Ministre ».
Ridha Grira valide l’ensemble des dispositions décidées à la réunion sauf celle concernant le transfert d’argent aux victimes de la veille. C’est à partir de ce jour-là que la terrible dynamique: manifestations / répression / morts / enterrements / manifestations… ne s’arrêtera plus : ceux qui enterrent leurs défunts attaquent les commissariats, les policiers font de nouvelles victimes et ainsi de suite…
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