Révolution tunisienne 4e partie
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4 L’élément déclencheur
Le Bouazizi dont parlent les médias n’est pas celui qui s’est immolé. Le véritable Bouazizi ne s’appelle pas Mohamed, mais Tarak. Mais aujourd’hui encore, tout le monde évoque « Mohamed Bouazizi ». Comme pour tout le reste, les informations parvenues aux Tunisiens sont pour la plupart complètement fausses.
Après ces prémices de soulèvement, c’est le centre ouest du pays qui explose à partir du 17 décembre 2010 suite au suicide de Bouazizi. Ce n’est ni le premier suicide ni même la première immolation, mais cet incident provoque très vite des manifestations où sont lancés des slogans contre le régime.
Beaucoup profitent de cette occasion : opposants, partis politiques, syndicalistes, artistes et nombre d’ONG, d’associations, de fondations et de groupements, plus ou moins puissants et organisés. Ces organisations et plusieurs individus isolés vont servir de porte-voix du soulèvement. Certains, à Sidi Bouzid même, vont immédiatement appeler les médias étrangers pour leur annoncer les premières manifestations, d’autres vont se déplacer et participer activement aux soulèvements des villes voisines. Des internautes vont fournir les réseaux sociaux de séquences vidéo dont certaines sont « fabriquées ». Faut-il voir ici la main des blogueurs formés aux USA ?
Ce que cette enquête a le plus révélé, c’est la puissance des préjugés et des idées reçues sans aucune preuve, c’est la force des déclarations faites sur le ton d’une puissante certitude qui n’est basée que sur un ouï-dire ou un préjugé ou, au mieux, sur une petite association d’idées que ses tenants considèrent comme sacrée. Malheureusement, le cerveau humain a ce travers d’élaborer des thèses extraordinaires basées sur des informations sans fondements que certains vont jusqu’à assembler, sans vérification, pour esquisser des montages imaginaires et des complots extraordinaires.
17/12/2010 – Une immolation et tout s’embrase
Tout le monde connaît l’histoire de Bouazizi, jeune diplômé universitaire pour certains et simple chômeur pour d’autres, que le destin a fait vendeur ambulant de fruits et légumes à Sidi Bouzid. Exigeant un minimum de dignité devant une « administration inhumaine », il s’immole le 17 décembre 2010.
Ce jour-là, à part la rédaction «arabe» de France 24, informée par téléphone par Mahmoud Ghozlani, les journalistes, disposant de très peu d’éléments, se précipitent sur Internet pour chercher des informations.
Sur Facebook, ils découvrent un profil correspondant : un certain Mohamed Bouazizi, de Sidi Bouzid, qui a laissé une phrase sibylline datant du 15 décembre : « Je m’en vais, mère, pardonne-moi, les regrets ne servent à rien, je suis perdu dans un chemin que je n’ai pas tracé. Pardonne-moi si je ne t’ai pas obéi, mère, blâme le temps, mais ne me blâme pas. Je pars sans revenir, j’ai assez pleuré et coulé de larmes. Dans ce pays, les blâmes du temps perfide ne servent plus à rien. J’ai crié et je ne me suis pas rendu compte de tout ce qui a été perdu. Je m’en vais et souhaite ce voyage pour oublier. »
Pour les journalistes, il ne peut s’agir que de la bonne personne : il est surnommé Med et il est ingénieur.
Ces informations et sa photo de profil sont aussitôt publiées dans plusieurs médias. Cette phrase émeut et fait couler beaucoup d’encre aux quatre coins du monde. Le tout crée alors un phénomène de profonde émotion et une vague de contestation de jeunes diplômés et chômeurs de la région. Les immolations elles-mêmes se multiplient : on en a recensé des dizaines à travers le monde et cinq autres en Tunisie.
En réalité, ces informations ne correspondent pas à la personne qui s’est immolée. Sur Facebook, il s’agissait d’un ingénieur originaire de Sidi Bouzid, Mohamed Bouazizi, qui a par la suite déclaré que sa phrase était en fait issue des paroles de la chanson « Lyoum Emssèfer » du rappeur tunisien Mascott, qu’il avait postée tout bonnement et par hasard, à la même période, comme statut Facebook… Lorsque les événements se sont enclenchés, ce Mohamed Bouazizi bis voit sa photo de profil dans tous les médias qui l’annoncent mort. Des centaines de personnes à travers le monde inondent son profil Facebook de « repose en paix ! ». Mohamed Bouazizi répond ainsi : « C’est une erreur, je suis toujours en vie ! » mais les messages s’accumulent quand même. N’assumant pas les événements qui ont suivi, il préfère alors se taire durant plusieurs mois…
Manoubia Bouazizi, mère du jeune homme qui s’est immolé le 17 décembre 2010, surnommait son fils Bessbouss. Sur sa carte d’identité nationale n°09217605, émise le 9 novembre 2005 à Sidi Bouzid, son vrai nom est Tarek Bouazizi, fils de Taieb Bouazizi. Né le 29 mars 1984 à Sidi Bouzid, il vivait dans le quartier Nour el Gharbi. Célibataire, il avait un frère prénommé Salem et une sœur, Leila.
A partir de cette confusion, Tarek Bouazizi, celui par qui tout a commencé le 17 décembre 2010 à Sidi Bouzid, a été à jamais rebaptisé Mohamed. Plus jamais personne ne reviendra dessus.
NOTES
* – Ironie de l’histoire, le soulèvement qui a eu raison du régime de Ben Ali a eu lieu en 2010, proclamée par Ben Ali « Année de la Jeunesse ».
18 – Violemment réprimés, ces événements ont, selon des sources fiables, provoqué une dizaine de morts. Aucune commission d’enquête indépendante n’a encore travaillé sur ces cas.
19 – Facebook et Twitter commencent à devenir les réseaux sociaux par excellence. C’est probablement la raison pour laquelle les graves événements du bassin minier, en 2008, n’ont pas été relayés par les internautes qui ne disposaient pas à l’époque de ces réseaux sociaux.
20 – « Ammar » est pour la Tunisie ce que fut « Anastase » pour l’Occident : c’est le surnom de la censure. « Nhar 3ala Ammar » signifie « Sale journée pour Ammar ».
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